Soixante ans jour pour jour après le discours de Schuman créant la CECA, la crise de l'Euro et celle de la dette grecque seraient-elles l'occasion de poser la 1ère pierre d'un véritable gouvernement économique de la zone euro ?
Face au péril de l'effondrement, la volonté politique a été forcée. Et même si les solutions avancées restent discutables, les prémisses d'une convergence budgétaire et économique -- voire fiscale et sociale -- semblent enfin posés.
Les premières mesures, spectaculaires, devront nécessairement être consolidées car de nombreuses questions rôdent encore. La création du Fonds monétaire européen est une excellent chose mais il est insuffisamment doté pour faire face à un risque majeur. La garantie de 750 milliards d'€uros de la part des États a quelque chose d'ubuesque quand on songe que si elle devait être activée, on répondrait alors à une crise de la dette par... un endettement plus lourd encore !
Il n'y aura donc pas d'autre choix que de travailler à la coordination des politiques budgétaires des pays de la zone €uro, ce qui appellera mécaniquement l'encadrement des politiques fiscales et de là, l'esquisse d'une politique économique et industrielle commune pour aller chercher une croissance européenne, solidaire et partagée.
Dans une tribune publiée ce soir, Christian Saint-Etienne résume assez bien cette impérieuse nécessité par une formule évidente :
« Au nom de quoi faut-il garantir la dette de l'Irlande avec l'argent des Français quand ce pays nous fait une concurrence fiscale très dommageable ? »
Comment sortir de la crise de l'euro ?par Christian Saint-Etienne
L'euro était un pari et reste un pari. Adopter une monnaie commune, entre des pays ayant des niveaux de développement et des structures économiques très divers, supposait qu'une union politique se mettrait rapidement en place pour gouverner la zone monétaire et organiser les transferts nécessaires entre ses membres.
En effet, instaurer une monnaie commune dans une vaste zone économique entraîne une polarisation de l'activité économique selon les avantages comparatifs des régions qui composent la zone. Si, de plus, un pays de la zone mène une politique économique non coopérative, par exemple une politique de désinflation salariale visant à renforcer sa compétitivité au détriment des autres pays membres de la zone, il contribue à accroître la polarisation de l'activité au point de concentrer la production sur son territoire au détriment des autres territoires. Si la zone n'a pas mis en place des mécanismes de redistribution, et en l'absence de mobilité du travail, cette polarisation peut devenir rapidement insupportable.
Cette concentration des richesses sur une partie du territoire, alors même que le pays bénéficiant de cette concentration mène une politique déflationniste qui ne permet pas aux autres membres de la zone d'exporter vers lui, peut même conduire à un appauvrissement de la zone, puisque le pays menant la politique non coopérative capte une part croissante d'une production globale de la zone qui stagne.
C'est ainsi que la zone euro est devenue progressivement, au cours des années 2000, une zone de non-croissance relative dans un monde en expansion rapide. Pour les années 2010-2011, la croissance annuelle de la zone euro devrait être de 1 % contre plus de 4 % dans le reste du monde.
Qu'aurait-il fallu faire au moment de la création de l'euro ? Trois conditions de réussite s'imposaient :
1 - Mettre en place un gouvernement économique de la zone. On appelle gouvernement économique d'un pays la conduite simultanée de la politique monétaire, de la politique budgétaire et de la politique de change pour atteindre la croissance durable maximale afin d'avoir un chômage faible et des revenus réels en expansion. Or, au lieu d'un gouvernement économique, la zone s'est dotée d'un pacte de stabilité visant à s'assurer que les déficits publics resteraient aussi faibles que possible. Ce n'est pas une clause inutile, à condition de la faire respecter, mais ce n'est, en aucun cas, un substitut de gouvernement économique. Il ne faut d'ailleurs pas confondre gouvernement économique et gouvernance qui, dans la bouche des Allemands, implique simplement un durcissement du pacte.
2 - Etablir un budget fédéral de la zone euro permettant de redistribuer des ressources entre Etats membres afin de réduire les inégalités. Aux Etats-Unis, le budget fédéral est un puissant mécanisme de redistribution entre les Etats membres.
3 - Encadrer la concurrence fiscale et sociale entre Etats membres, de même qu'une région de France ne peut pas réduire l'impôt sur le revenu ou les cotisations sociales pour faire concurrence aux autres, tout en prétendant bénéficier des mécanismes de redistribution mis en place.
Or aucune de ces conditions n'est remplie dans la zone euro ! Pire, plusieurs Etats membres revendiquent le droit de faire de la concurrence fiscale aux autres, par exemple par un taux d'impôt sur les sociétés à 12,5 %, quand il est en moyenne de 25 % dans la zone !
Que propose-t-on face à la crise grecque ? D'abord un plan de soutien de 110 milliards d'euros, alors que ce pays est insolvable et ne pourra pas rembourser les sommes prêtées. Ensuite, on met en place un mécanisme de garantie des dettes des pays membres sans exiger la mise en place d'un instrument de coordination des politiques économiques ou l'encadrement de la concurrence fiscale. Au nom de quoi faut-il garantir la dette de l'Irlande avec l'argent des Français quand ce pays nous fait une concurrence fiscale très dommageable ?
Proposons une solution simple et puissante pour sortir du bourbier. Il existe actuellement une grande confusion intellectuelle sur la nature du problème en Europe. Les spéculateurs, que je condamne, ne sont pas responsables de l'erreur de conception de la zone et du fait que les pays membres refusent de coordonner leurs politiques économiques et d'encadrer la concurrence fiscale.
Surtout, c'est par l'effet d'une incompréhension du fonctionnement d'une économie ouverte que l'on centre toute l'attention sur le seul déficit public. Car la situation d'un pays dont le déficit public est totalement financé par l'épargne du secteur privé (entreprises et ménages) n'a rien à voir avec celle d'un pays incapable de financer son déficit en interne. Or la balance courante des paiements est la somme de l'épargne privée et du déficit public. Quand la balance courante est équilibrée, ou excédentaire, c'est que l'épargne privée finance, ou surfinance, le déficit public.
L'euro n'est pas menacé par le déficit public de tel ou tel Etat, mais par le besoin de financement externe de chaque Etat. Si la zone disposait d'un gouvernement économique et d'un budget, l'épargne interne pourrait financer les déficits de l'un de ses membres. Mais, justement, la zone n'étant pas intégrée, il n'existe pas un tel marché sans risque. De plus, créer l'illusion d'une telle intégration par une garantie de l'Union en l'absence de gouvernement économique et de budget ne peut qu'inciter les Etats membres au laxisme.
La solution aux problèmes actuels de l'euro est donc d'inclure le suivi de la balance courante par la Commission et l'Ecofin, c'est-à-dire les ministres des finances de la zone, en imposant des mesures d'ajustement aux pays ayant un déficit insoutenable de leur balance courante. Il faut indiquer clairement que tout Etat de l'Union européenne candidat à l'entrée dans la zone euro devra avoir une balance courante équilibrée depuis trois ans et s'engager à maintenir son équilibre à l'avenir. Et puis, peut-être, un jour, en viendra-t-on enfin à la mise en place d'un gouvernement économique et d'un budget de la zone euro.
Christian Saint-Etienne, membre du Conseil d'analyse économique, est professeur au CNAM et à Paris-Dauphine.
PS : voir aussi l'interview de Ch. Saint-Etienne dans le Figaro d'hier... beaucoup plus pessimiste !
Alors qu'un plan de soutien de la zone euro pour un montant de 750 Milliards d'Euros a été adopté lundi, le gouvernement français a une nouvelle fois réaffirmé la nécessité absolue d'un gouvernement économique européen, par la voix du Premier Ministre, François Fillon.
RépondreSupprimer"Je pense que la gravité de cette crise était due pour une part aux atermoiements qui ont présidé à la mise en oeuvre d'une solution au problème de la Grèce" a-t-il déclaré à l'Assemblée Nationale, avant de poursuivre "au fond, ce que les marchés ont testé à la fin de la semaine dernière, c'est la capacité de la zone euro à s'organiser, à réagir, à articuler une solution, à faire preuve de solidarité".
Jeudi dernier déjà, le Président de la République et Angela Merkel, son homologue allemand avait plaidé pour une gouvernance économique de la zone euro dans une lettre commune.
Mais la route est encore longue... Si l'annonce du plan a suscité l'euphorie sur les marchés boursiers hier, il n'a pas pour autant rassuré...
Dès ce matin, les principales places boursières étaient en recul alors que l'agence Moody's a fait savoir qu'elle pourrait abaisser la note du Portugal et rétrograder celle de la Grèce en catégorie spéculative...
PARIS, 11 mai (Reuters) - Les menaces qui ont pesé sur l'euro et la crise grecque confirment "la nécessité absolue" d'un gouvernement économique européen, a déclaré mardi le Premier ministre François Fillon.
RépondreSupprimerLa France plaide sans relâche pour une gouvernance économique de la zone euro, idée qui rebutait l'Allemagne mais à laquelle la chancelière Angela Merkel s'est ralliée dans une lettre commune avec Nicolas Sarkozy publiée jeudi dernier.
"Ce qui était en cause à la fin de la semaine dernière, c'était l'existence même de l'euro", a souligné François Fillon lors des questions d'actualité à l'Assemblée.
"Je pense que la gravité de cette crise était due pour une part aux atermoiements qui ont présidé à la mise en oeuvre d'une solution au problème de la Grèce", a-t-il poursuivi, désignant à mots couverts les réticences allemandes.
"Au fond, ce que les marchés ont testé à la fin de la semaine dernière, c'est la capacité de la zone euro à s'organiser, à réagir, à articuler une solution, à faire preuve de solidarité", a estimé François Fillon.
L'Union européenne a adopté lundi un plan de 750 milliards d'euros pour empêcher une contagion de la crise grecque à d'autres pays européens. Les marchés ont réagi avec euphorie à cette initiative mais l'euro donnait de nouveau des signes de faiblesse mardi.
Pour le Premier ministre français, la réaction concertée des Européens face aux attaques spéculatives contre l'euro, "c'est la mise en place de ce gouvernement économique que la France réclame de ses voeux depuis des mois et des mois".
"Il faut s'appuyer sur la double expérience de la crise des banques et de la crise de l'euro que nous venons de connaître pour mettre en oeuvre un véritable gouvernement économique européen", a-t-il insisté, jugeant qu'il s'agissait d'une "nécessité absolue".
(Sophie Louet, édité par Yves Clarisse)