samedi 26 juillet 2008

L'effacement de la Vème République

Subrepticement, la Cinquième République s'en va.

L'action se déroule à Paris, lundi 21 juillet 2008.

Arrivé gare de l'Est par un TGV du matin, je me dirigeais tranquillement vers la Maison de la Radio pour une réunion de travail au Laboratoire d'informatique de Paris - LIP6.

À la descente du bus de la ligne 72, juste en face du Front de Seine, je m'apprêtais à traverser l'avenue du Président Kennedy lorsque, toutes sirènes hurlantes, trois motards vinrent contrarier ma traversée du passage-piétons, suivis d'un autocar aux couleurs de la République dans lequel devaient se trouver... 2 ou 3 députés ou sénateurs, en direction du Congrès de Versailles.

Voilà pour le décors, un peu surréaliste, franchement folklorique. Trois parlementaires dans un bus de 60 places, grillant les feux rouges sous l'escorte de la Garde républicaine, à l'appel du Congrès de Versailles, pour une énième Révision constitutionnelle de la Vème République...

Car à force de révisions *, ils vont bien finir par nous l'achever, notre Vème République. Tout avait commencé en octobre 2000 avec la réforme du quinquennat 'sec'.

Réduire la durée du mandat présidentiel à cinq ans était en soi une bonne chose. En septembre 1973 déjà, un tel projet de loi fut proposé en Conseil des Ministres sous la présidence de Georges Pompidou puis adopté conjointement par l'Assemblée nationale (270 contre 211) et par le Sénat (162 contre 112) dès le mois d'octobre 1973. Mais la majorité qualifiée des trois cinquièmes n'était pas acquise pour adopter la réforme en Congrès à Versailles. On s'est donc arrêté là...

Le quinquennat n'est pas une idée nouvelle. Mais les conditions de son adoption et de sa mise en œuvre vont profondément bouleverser notre paysage institutionnel. L'absence de mesures d'accompagnement et l'inversion du calendrier électoral (Présidentielle et Législatives en 2002) vont gravement porter atteinte à un élément clé des institutions de la Vème République : l'indépendance des pouvoirs législatif et exécutif.

Depuis 1962 et jusqu'à 2002, le calendrier des élections nationales était rythmé par deux tempos différents : tous les 5 ans pour les élections législatives et tous les 7 ans pour l'élection du Président de la République. Ce double rythme induisait une élection politique nationale tous les 3 ans* en moyenne.

Or le quinquennat 'sec' implique la synchronisation des élections législatives et présidentielles, une seule fois tous les 5 ans. Loin d'accélérer le rythme démocratique, le quinquennat 'sec' aboutit en réalité, à ralentir notre 'respiration' démocratique.

Le raccourcissement du mandat des députés à 3 ou 4 ans aurait pu régler le problème mais Jacques Chirac n'en a pas voulu : le quinquennat serait 'sec' ou ne serait pas. Dommage, on aurait pu en profiter pour réduire le mandat des sénateurs de 9 à 6 ans, en renouvelant le Sénat par tiers tous les deux ans, plutôt que trois.

Voilà quelques mesures d'accompagnement qui auraient rendu possible une véritable réforme du quinquennat, évitant de porter atteinte à l'un des piliers fonctionnels de la Vème République :
« Un Chef d'État et un Parlement séparés, encadrant un gouvernement issu du premier et responsable devant le second » selon la formule fameuse d'un des pères de la Constitution Michel Debré, souvent citée par François Bayrou pour dénoncer les lentes dérives de la Vème République.

Le quinquennat 'sec' fut adopté par référendum le 2 octobre 2000. J'ai voté NON à ce référendum mal ficelé** et je me souviens de quelques échanges de mails passionnants avec deux parlementaires alsaciens — Jean-Marie Bockel à l'Assemblée nationale et Daniel Hœffel au Sénat — qui avaient sincèrement reconnu avec moi, les risques de dérive que l'on constate aujourd'hui.

Dans la foulée du quinquennat, c'est une simple 'mesure technique' d'accompagnement qui va porter le coup de grâce à la séparation des pouvoirs exécutif et législatif de la Vème République. En décembre 2000, deux mois à peine après l'adoption du quinquennat, l'Assemblée nationale et le Sénat voteront l'inversion du calendrier électoral, de manière à reporter les élections législatives de 2002 après l'élection présidentielle alors qu'elles devaient se dérouler avant. François Bayrou était lui-même un des meilleurs défenseurs de cette mesure 'technique' — souvenez-vous, FB fustigeait alors le 'calendrier dingo'...

Le Premier Ministre de l'époque, Lionel Jospin, était favorable à l'inversion du calendrier électoral. Le Président de la République de l'époque, Jacques Chirac, y était fermement opposé. Cohabitation oblige, la majorité 'Gauche plurielle' de l'époque, pléthorique, avait emporté la décision, soutenue par 25 députés UDF emmenés par François Bayrou. L'opposition gaulliste avait massivement voté contre l'inversion du calendrier électoral, ainsi que le groupe communiste (34 députés à l'époque), le groupe Démocratie libérale (43 députés) et enfin les 31 autres députés UDF n'ayant pas suivi FB sur ce point d'interprétation essentiel de nos institutions.

Seize mois plus tard, le 21 avril 2002, Le Pen était qualifié pour le 2ème tour de l'élection présidentielle, à la surprise générale. L'histoire ne dira pas ce qu'aurait été le résultat de ce 1er tour de la Présidentielle, s'il s'était déroulé à la date prévue, après les élections législatives...


Jacques Chirac fut le premier à comprendre toute l'ampleur des bouleversements induits par le 'quinquennat sec', et peaufinés par l'inversion du calendrier électoral. Pour assurer sa réélection début 2002, le RPR disparait pour devenir la 1ère UMP qui signifiait alors Union pour la Majorité Présidentielle. Tout était dit ! Les députés devront désormais leur élection à l'investiture du Président de la République élu quelques semaines plus tôt — ou à l'investiture de son opposition consacrée elle aussi, quelques semaines plus tôt...

Et voici comment, subrepticement, de fil en aiguille, la Vème République s'en va... et comment la bipolarisation triomphe.

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Selon la dernière révision constitutionnelle du 21 juillet 2008, le Président de la République pourra désormais s'exprimer devant le Parlement réuni en Congrès.

Puis, les Parlementaires seront autorisés à débattre de l'intervention du Président de la République, mais en son absence, dès que ce dernier aura tourné les talons...

Symboliquement, cette forme d'arrogance présidentielle à l'égard du Parlement et cette forme de soumission des Assemblées au Chef de l'État (écoutez-moi mais moi, je ne veux rien entendre...) révèlent parfaitement cette évolution inquiétante de la Cinquième République, vers la République.com, une sorte de monarchie élective dont la cour et les courtisans se trouveraient à l'Assemblée.

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* : pour vous en convaincre, il suffit de mélanger la table de 5 et la table de 7 : 5, 7, 10, 14, 15, 20, 21, 25, 28, 30, 35. Sur une période de 35 ans, on compte 5 septennats et 7 législatures, soit 12 mandats distincts au total, sans compter les échéances imprévues comme le furent le renversement du gouvernement Pompidou en 1962 et la dissolution de l'Assemblée nationale par de Gaulle, la mort de Georges Pompidou avant la fin de son mandat en 1974, la dissolution 'ratée' de l'Assemblée nationale par Jacques Chirac en 1997 et le début de la 3ème cohabitation.

** : le résultat du référendum fut aussi mal ficelé que la réforme du quinquennat... À peine 30% de participation — vous avez bien lu 70% d'abstention —, et parmi les votants, plus de 15% avaient choisi le vote blanc ou nul — du jamais vu ! Au final, le quinquennat fut adopté par 73% des votants — hors bulletins blancs et nuls.


jeudi 17 juillet 2008

Connaissez-vous Alain L . et Gilles C . ?

Mise à jour : Alain Lambert publie ce soir le 2ème épisode de son interview. Voir ici - c'est enregistré au resto de l'Assemblée, ce midi.


Ancien ministre du budget, Alain Lambert* est un blogueur de longue date*. Il est devenu vidéaste amateur grâce à son téléphone portatif et à Dailymotion. Heureusement pour nous...

Jeudi dernier, dans les couloirs de l'Assemblée nationale, Alain L. croise Gilles Carrez*, le rapporteur de la commission des finances. Muni de son téléphone caméra, Alain L. harponne Gilles C. dans un coin de la salle des Quatre Colonnes. Morceaux choisis :

« — Éric Woerth est un ministre croupion (...) »
« — Le rapport d'orientation budgétaire est à pleurer (...) »
« — Dans un budget, il y a deux colonnes : les recettes et les dépenses. Les recettes nous échappent totalement [à la Commission des Finances, ndlr] (...) »
« — Si tous les lobbies s'engouffrent les uns après les autres pour obtenir qui un crédit d'impôt, qui la TVA à 5,5%, nous n'arriverons jamais à redresser nos comptes (...) »

Rappelons ici que l'interviewer et l'interviewé sont tous deux membres des groupes UMP à l'Assemblée nationale et au Sénat... La suite de l'entretien fait froid dans le dos :

« — La seule vraie question est de savoir jusqu'à quel point l'Euro nous protège (...) »
« — Est-ce qu'on [l'Union européenne, ndlr] peut nous 'jeter' de la zone Euro si on [la France, ndlr] est à ce point incapable de nous fixer des règles nationales de discipline budgétaire (...) »


Gilles Carrez interviewé par Alain Lambert
envoyé par 777socrate

Mise à jour : Alain Lambert publie ce soir sur son blog le 2ème épisode de son interview. Voir ici. C'est enregistré au resto de l'Assemblée, jeudi midi.

lundi 14 juillet 2008

Putain de camion

La mort d'un grand Européen — Démocrate européen, savant humaniste, historien francophile, fondateur de Solidarnosc, Bronislaw Geremek s'est tué dimanche dans un accident de la route en Pologne, alors qu'il se rendait à Bruxelles.

Rappelons qu'au sein de l'Union européenne, la route tue près de 40.000 personnes chaque année.

C'est un fléau*, c'est une calamité* dont les politiques publiques européennes feraient bien de s'emparer.

Lire l'hommage du Figaro

jeudi 10 juillet 2008

Enfantillage

C'est le mot* utilisé par François Bayrou ce matin dans une interview au Figaro, pour qualifier certaines attitudes de Nicolas Sarkozy, concernant la présidence française du Conseil européen.

Le président français se voit "président de l'Europe", rien de moins... Pas vraiment de quoi rassurer nos 26 partenaires européens, ni le Parlement européen, ni la Commission.

S'il est un endroit où les décisions doivent être collégiales*, c'est bien autour de la table du Conseil européen !

« Je ne crois au centre que s'il est indépendant, courageux,
rebelle, visionnaire. Toute autre attitude conduit
à l'inexistence et au dérisoire. »
François Bayrou au Figaro,
le 10 juillet 2008.

mercredi 9 juillet 2008

Vélo à Strasbourg : la politique du 'pied à terre' !

Les bras m'en sont presque tombés en ouvrant 20 Minutes ce matin – le PDF de Strasbourg sur le Web, car j'étais sur la route.

C'est la dernière innovation du PS et des Verts en matière de transports urbains. Elle consiste à transformer les cyclistes en... piétons. Il fallait y penser ! Le 1er adjoint de Strasbourg l'a fait : une zone « pied à terre » va être instaurée à la fin du mois, rue d'Austerlitz, pour apaiser les relations entre cyclistes et piétons.

Cette fabuleuse trouvaille semble résumer toute la politique de la nouvelle municipalité (PS + Verts) en faveur du vélo... Avec de telles ambitions, pas sûr que Strasbourg conserve encore longtemps son "vélo d'avance" !

À Strasbourg, mettre le pied à terre est déjà une pratique quotidienne pour la plupart des cyclistes qui traversent le centre-ville aux heures de pointe, étant donné l'absence d'infrastructures adaptées – pas de pistes cyclables pour contourner les places centrales.

Alors plutôt que de faire des choix d'investissement pour réaliser des infrastructures nouvelles, la municipalité PS-Vert a choisi de faire de la comm' en installant des panneaux pour inviter les cyclistes à poser le pied à terre. L'élu PS précise qu'il s'agit de 'lever les freins posés au vélo' (sic). Comprenne qui pourra !

Sous l'impulsion du MoDem, la politique des transports avait été au cœur des dernières élections municipales à Strasbourg :
  • l'instauration de zônes bleues pour un stationnement réglementé non payant, très discutée,
  • un service de vélos en libre accès voire de petites voitures électriques, sur le modèle de Vélib' à Paris ou Vélov' à Lyon,
  • une ligne de tram périphérique sur les boulevards – défendue depuis par Frédéric Le Jéhan, ancien conseiller municipal de l'équipe sortante (et sortie) de Fabienne Keller (UMP),
  • enfin, la baisse significative du prix du billet de tram pour favoriser l'adoption des transports en commun.

    NB : je reviendrai sur la hausse du ticket de tram, décidée récemment par le PS et les Verts, dans un prochain billet.
Et voilà à quoi nous mène l'alliance victorieuse des Verts et du Parti socialiste en matière de déplacements urbains : « Chers amis cyclistes, en cas de trop plein de vélos, posez donc votre pied à terre ! ». Tout ça pour ça...

C'est un gag ou bien on est chez les Shaddocks ? Rassurez-vous, l'article de 20 Minutes précise que la mesure « ne donnera pas la possibilité de sanctionner » :o)

MàJ : Le même jour, Libération semblait confirmer qu'à part le fameux 'pied à terre', rien de nouveau n'est attendu côté vélo à Strasbourg...

vendredi 4 juillet 2008

De la collégialité des présidences départementales...

Au début de l'automne, les adhérents du Mouvement démocrate désigneront leurs instances départementales, courroie de transmission (dans les deux sens) entre les instances nationales du MoDem et le terreau fertile de ses adhérents en région.

D'abord, une petite piqûre de rappel pour ceux qui auraient déjà oublié certaines innovations majeures introduites dans les statuts du MoDem et dans le RI adopté début mai...

La direction des Mouvements départementaux est désormais collégiale. Elle comporte cinq membres élus par les adhérents à l'issue d'un scrutin à la représentation proportionnelle. Les membres de cette « présidence » s'obligent à une action solidaire – voir art. 4 alinéa c du RI.

Pour régler les impératifs de représentation et de légitimité, le chef de file de la présidence départementale (le 'président') sera désigné directement par les adhérents lors de l'élection : ce sera le premier candidat de la liste arrivée en tête. Ce qui n'enlève rien au fonctionnement collégial de la présidence départementale et à l'action solidaire attendue de chacun de ses membres.

Pour la présidence départementale, mon choix se portera donc sur une liste de cinq personnes qui saura faire preuve d'intelligence collective dans l'animation du Mouvement départemental, par une stratégie de consensus et de rassemblement dans la mise en œuvre de ses décisions – à ne pas confondre avec la 'stratégie' de l'indécision et de l'Auberge espagnole !

Deusio – La présidence départementale est une instance exécutive. J'oserais souligner qu'elle n'est qu'une instance exécutive pour mettre en œuvre la politique définie par le Conseil départemental, assemblée d'environ 90 membres élus à la proportionnelle qui constitue l'organe délibératif du Mouvement départemental – voir art. 4 alinéa a et b du RI.

De ce point de vue, la présidence départementale devra faire preuve d'expérience pour animer le Mouvement départemental et de l'autorité nécessaire (suffisante) pour faire appliquer les décisions du Conseil départemental. Ce sera là mon 2ème critère de choix pour la présidence du Mouvement départemental.

Si elle est bien appliquée, la collégialité renforcera l'efficacité des présidences départementales puisque toutes les sensibilités y seront représentées. C'est là tout l'intérêt de cette réforme, me semble-t-il. Alors prenons garde à ne pas oublier cette innovation majeure introduite dans nos statuts et dans notre RI...

mardi 1 juillet 2008

Interlude de l'été : Connaissez-vous Rhinau ?

C'est un village de presque 3000 âmes installées au bord du Rhin, à une trentaine de kilomètres de Strasbourg, vers le Sud.

Rhinau est une véritable curiosité géographique car le tiers de son ban communal (soit près de 1000 hectares) se situe de l'autre côté du fleuve, sur la rive droite du Rhin, en Allemagne.

Cette particularité géographique n'est pas le fruit des vicissitudes de l'histoire entre la France et l'Allemagne, comme on aurait pu s'y attendre. Non, c'est un 'petit' caprice du Rhin qui est à l'origine de cette situation étonnante...

L'action se déroule en 1542, dans les environs d'un petit village sur le Rhin qui ne s'appelait pas encore 'Rhinau'. Lors de l'une de ses plus fortes crues, le Rhin est sorti de son lit, sans jamais vouloir y retourner ! C'est cette divagation du fleuve qui est à l'origine de la séparation du ban communal de Rhinau en deux, entre les rives française et allemande du Rhin.

Et les affres de l'Histoire, et les déchirements des Hommes n'y changeront rien : ni la Guerre de Trente ans, ni le traité de Westphalie (1648), ni la Guerre de 1870, ni même deux guerres mondiales ne viendront gommer cette trace étrange de la divagation du Rhin sur le territoire de Rhinau.

Aujourd'hui, le bac automoteur de Rhinau, Rhénanus * relie les deux rives du Rhin toutes les 15 minutes **, transportant (gratuitement !) plus de 1,5 million de passagers chaque année.

En 1542, c'est donc le Rhin lui-même qui aura fait de Rhinau, ce village romantique « des deux côtés ».

Sources via Google : 1, 2 et 3.

« Oui, mon ami, c'est un noble fleuve, féodal, républicain, impérial, digne d'être à la fois français et allemand. Il y a toute l'histoire de l'Europe (...) dans ce fleuve des guerriers et des penseurs, dans cette vague superbe qui fait bondir la France, dans ce murmure profond qui fait rêver l'Allemagne. (...) »

Victor HUGO – Le Rhin, lettres à un ami, lettre XV.