jeudi 4 juin 2009

Il était une fois... deux frères Européens


En contrepoint du déferlement de commentaires sur la soirée de France 2 hier, j'ai retrouvé cet extrait d'un livre passionnant d'Alain Lamassoure (2004) Histoire secrète de la Convention européenne.

L'action se déroule à Strasbourg le 11 décembre 2000, à la Maison Kammerzell, au premier soir de la session parlementaire, quelques jours après le désastreux Traité de Nice (6 et 7 décembre 2000). Face au recul européen qui s'annonce, une poignée d'irréductibles Européens se réunissent pour conjurer le sort et remettre sur pied le projet d'une Constitution européenne. Parmi eux, deux frères européens : Daniel Cohn-Bendit et François Bayrou.

La gueule de bois d'après Nice

Lundi 11 décembre 2000. Strasbourg. Il faut sauver le soldat Bourlanges. La session du Parlement européen qui suit le fiasco de Nice s'ouvre dans la morosité.

Jean-Louis Bourlanges est aussi connu du microcosme européen qu'inconnu du grand public. Sa malice est proverbiale, son verbe aussi généreux que son coup de fourchette, ses analyses sont dessinées à l'eau-forte. Au Parlement européen, nous sommes des amis peu séparables. Nos tempéraments sont aussi opposés que possible : je suis un optimiste, qui se plait dans la recherche du consensus; Jean-Louis est un Jupiter qui tonne dans les orages, un Phénix sans cesse en quête de cendres pour renaître. Il ne juge pas chacun des progrès de l'Europe par rapport à l'étape antérieure, mais à la lumière de l'idéal qu'il en a conçu. C'est dire que le traité de Maastricht l'a déçu, et celui d'Amsterdam l'a navré ; il a voté contre l'adhésion de l'Autriche et des pays scandinaves ; et le traité de Nice le plonge dans un vrai désespoir.

Ses amis en rient d'abord, puis s'en inquiètent. Au point que, ce soir-là, un complot amical se réunit dans un des meilleurs restaurants de Strasbourg, la Maison Kammerzell, pour remonter le moral de Jean-Louis. Il y a là François Bayrou, Marielle de Sarnez, le général Philippe Morillon, héros de Srebrenica, le politologue Olivier Duhamel, l'ancien communiste Philippe Herzog, Daniel Cohn-Bendit et moi. Jean-Louis broie du noir.

« Les traités précédents étaient exaspérants, parce qu'on n'avançait qu'au millimètre. Mais à Nice, pour la première fois, on recule ! L'Europe sera ingouvernable. Et c'est irrattrapable ! Si l'on refuse la ratification, ils recommenceront en pire. Si on l'accepte, on se résigne à cautionner un crime. C'est sans espoir. La construction européenne s'arrête là. Ma vie n'aura servi à rien. »

Décidément, c'est une déprime qui peut devenir dangereuse. Nous voilà forcés de rivaliser d'éloquence : les arguments mêlés du riesling, du tokay et du gewürtztraminer viennent colorer la perspective. L'émotion nous gagnant, nous voilà à contre-emploi, Dany le Rouge faisant confiance à la sagesse des gouvernants pour prédire un sursaut salvateur, et moi, l'énarque, espérant encore un grand soulèvement populaire. Nous nous retrouvons sur le slogan, destiné aux dirigeants européens : « Boire (le nectar du nationalisme) ou conduire (l'Europe), il faut choisir ! »

Jean-Louis a raison: pour réformer les institutions européennes, la formule de la conférence intergouvernementale classique, qui fonctionnait bien à six ou douze pays, est devenue improductive. Il faut inventer autre chose.

Or nous savons qu'une autre approche existe. Ceux qui se trouvent réunis ce soir-là - par hasard ? - autour de la table l'ont proposée au Parlement européen, et c'est pour la défendre que nous avons défilé dans les rues de Nice. La consécration de l'union européenne exige désormais de passer des traités à une vraie Constitution, élaborée non plus par une conférence diplomatique mais par les élus du peuple, ou plutôt des peuples.

L'idée de Constitution a été relancée deux ans auparavant par François Bayrou, lors de la campagne européenne. Nous l'avons reprise au Parlement en créant un intergroupe qui rassemble tous les eurodéputés attachés à la promouvoir : je le copréside avec le social-démocrate sarrois Jo Leinen. Sur la lancée, à l'automne 2000, Olivier Duhamel a réuni à Strasbourg une majorité de quatre cents voix contre une centaine sur une résolution proposant de donner à l'Europe une Constitution, élaborée par une « Convention » démocratique. (...)

Alain Lamassoure
Histoire secrète de la Convention européenne
Fondation Robert Schuman, Albin Michel, 2004.

9 commentaires:

  1. Il était aussi une fois 2 frères du nom de Rémus et Romulus :-)

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  2. http://www.mouvementdemocrate.fr/actualites/telechargement/bennahmias_aux_GG_de_RMC.wav

    http://podcast.rmc.fr/channel36/20090605_gg11h_rmc.mp3

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  3. @ 1cognita:
    ... mais, une fois Rome fondée, je ne sais plus comment ça se termine entre ces deux-là... Ça a été violent ? sanglant ? lequel a mangé l'autre ?
    :)

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  4. Hô Pierre, tu m'étonnes sur ce coup là :-)

    Pierre,

    Toi qui vas fouiner dans les moindres recoins de la toile pour nous dégoter toutes les explications, les références, les éléments nécessaires à notre information et éducation démocratiques, te voilà me demandant comment a fini l'histoire des 2 fondateurs de Rome??? ;-)

    Ben t'as même pas consulter Wikipedia???
    Voilà skildizz :

    ".. L'historien latin rapporte deux versions de la mort de Rémus. Selon la première, Rémus tombe (victime d'un coup de pelle du centurion pendant la bagarre qui suit le décompte des augures ; selon l'autre, il franchit par dérision le sillon sacré que vient de tracer Romulus qui le tue sous le coup de la colère."

    C'est la deuxième version qui est la plus populaire en Italie.

    Bon, en espérant t'avoir éclairer ;-)

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  5. c'est tout le problème... si deux issues existent pour l'histoire des deux jumeaux, laquelle choisir ? le meurtre fraticide ou le 'happy end' ?

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  6. Y avait pas de happy end... en tout cas dans l'histoire de Romus et Romulus puisqu'il y en a un qui est moooort!

    Personnellement, je ne souhaite ni celle de Bayrou, ni celle de Cohn Bendit car je pense qu'il faut des Verts radicaux bien que j'ai choisi de suivre Corinne Lepage dont je regrette tant qu'elle n'est pas plus de visibilité.

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  7. Bayrou m’a dit :

    En prologue du meeting de fin de campagne du MoDem, à Strasbourg, jeudi soir, François Bayrou, avant même la diffusion de l’émission enregistrée d’Arlette Chabot, a tenu à voir les journalistes sur le parvis. Il savait bien quel écho aurait la joute musclée provoquée à la vérité par Cohn-Bendit.

    Aurait-il du ou pu, laisser passer l’insulte (minable, ignoble...) alors qu’il ne faisait que mener une charge, sans doute un peu décalée, contre un adversaire le qualifiant d’omni-opposant et d’enfant de Marie (la Vierge des chrétiens) ?

    Il est en effet des opposants à Sarkozy qui ont refusé l’attrait bling-bling de l’Elysée, ce n’a pas été le cas, à plusieurs reprises, de Dany le Rouge. Il en est aussi qui ne mêlent pas religion à politique. Les propos- anticipateurs de Bayrou qu’il a réitérés par la suite, ont été clairs même un peu tragiques.

    J’en ai parlé dans mon article(compte-rendu) pour AGORA VOX le 5-6 (je signale au passage qu’il s’est réjoui qu’un tel média soit présent) et j’invite à y revenir. « Fin de campagne en demi-teinte pour le MoDem. »

    Mais ce que je n’ai pas dit, c’est que le président du MoDem auquel je faisais remarquer que tout cela était loin de l’Europe a rétorqué : « Pas tant que cela, car les écrits de Cohn-Bendit et particulièrement celui évoqué, méritent un débat de société qui concerne autant la France que l’Europe et le reste du Monde. » A mon avis cela est incontestable.

    Et puis, comme on dit dans les cours de récréation : qui a commencé ?
    Une émission « foutoir » comme celle d’Arlette Chabot, est propice à ce genre de joute, surtout en fin de campagne avec l’obsession des dernières cartouches. Pain bénit pour les autres...

    Le brillant et sérieux Mélanchon a pu faire, de haute lutte sur France Inter dans une émission tout aussi foutoir de Pierre Weil, une analyse absolument pertinente de ce qui s’y est passé et suggéré une forme plus sérieuse de débat sur une chaîne pourtant publique.

    Antoine Spohr.

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  8. Quand Bayrou et Cohn-Bendit se rabibochent

    Le président du MoDem et le leader d’Europe Ecologie se reparlent… et forment des projets communs.

    Ça avait commencé par des Textos, ça s’est terminé par une vraie conversation. François Bayrou et Dany Cohn-Bendit se sont parlé cette semaine. Et c’est la première fois depuis le clash des européennes. Cela devrait être anodin entre deux responsables politiques qui ont longtemps été proches; mais sachant la violence de leur dernier échange public, c’est bien plus qu’un simple coup de téléphone. Bayrou voulait prendre des nouvelles de Cohn-Bendit, opéré de la hanche il y a dix jours, et lui souhaiter un bon rétablissement.

    Il lui a d’abord envoyé des SMS. Puis le leader du MoDem a téléphoné à celui qui lui a tant coûté aux européennes. Et les deux anciens copains ont papoté comme si de rien n’était. "On n’est pas dans des vendettas, confie Bayrou au JDD. On se connaît bien, on s’est mis en colère une fois, on n’aurait pas dû, je n’aurais pas dû, on a de la considération l’un pour l’autre et il se trouve qu’on a une approche politique plutôt similaire en ce moment." "C’est dans mon caractère de tourner la page. François voulait savoir comment j’allais, il voulait aussi parler politique", reconnaît de son côté Cohn-Bendit. Et ça tombe bien, le Vert comme l’Orange plaident pour une majorité alternative à Nicolas Sarkozy allant des écolos au MoDem en passant par le PS.
    Une rencontre probable entre les deux hommes sur Paris

    "Marseille, c’était bien, il faut continuer, il faut qu’on fasse des choses ensemble", plaide le centriste à propos de la réunion organisée par Vincent Peillon en août dernier avec Cohn-Bendit, Marielle de Sarnez et Robert Hue. Bayrou cherche à poursuivre cette dynamique. Le président du Mo- Dem envisage d’assister le 14 novembre à Dijon à la nouvelle réunion de Peillon consacrée à l’éducation. Dany, lui, ne sera pas encore en état de voyager. Mais si la convalescence de Cohn-Bendit se passe bien, les deux hommes devraient se voir la semaine suivante à Paris. "Tu m’as invité à la convention climat d’Europe Ecologie le 21 novembre, je viens", a dit le centriste à l’écolo. Dany était content. Avant la conférence internationale de Copenhague, le député européen veut réunir "tous les partis démocratiques" pour aboutir à une position commune offensive sur le climat. L’UMP Xavier Bertrand a déjà donné son accord, la socialiste Martine Aubry, elle, traîne des pieds.

    Dany Cohn-Bendit et François Bayrou se parlent, ils vont s’afficher ensemble, mais ils s’affronteront aux élections régionales. Et le premier ne cache pas que d’anciens MoDem seront sur les listes d’Europe Ecologie. "Ils ne seront plus dans ce parti, certains transitent par les amis d’Europe Ecologie, précise Cohn-Bendit. Les gens de Cap 21 s’éloignent du MoDem plus vite que Corinne Lepage." Bayrou s’en fiche. "N’en faisons pas un sujet, si vous êtes perturbés, c’est que vous êtes perturbables", a-t-il lancé à ses troupes réunies en conseil national, hier matin. "Il n’y aura pas autant de places éligibles que ça, minimise le leader du MoDem, ils découvriront vite qu’il y a plus de postérieurs que de chaises pour s’asseoir." Et ce ne sont pas quelques amis de Corinne Lepage qui vont gâcher l’amitié renaissante entre François et Dany.

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  9. signé :

    Cécile Amar - leJDD.fr
    Dimanche 25 Octobre 2009

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