mercredi 12 novembre 2008

La Bourse ou la vie, le chantage des marchés

J'emprunte au Parti communiste français cette affiche prémonitoire de janvier 2008 'La Bourse ou la vie, rendons l'argent utile' pour illustrer le texte des Gracques à paraître demain dans le journal Le Monde : La Bourse ou la vie, le chantage des marchés.

Car après tout, cette affiche du PCF pourrait bien servir d'étendard aux dirigeants du 'G20' qui se réuniront à Washington en fin de semaine ;-)

Espérons au moins que Nicolas Sarkozy, Henry Paulson* et consort trouveront une solution pour rendre l'argent de la finance moins nuisible, moins toxique, ce qui serait déjà un énorme progrès...

Retour au texte des Gracques donc, pour quelques mots de commentaire.

Faut-il y voir le signe de mon incompétence en macro-économie, ou le signe de notre impuissance collective ? Mais depuis le début de la 'crise', je m'intéresse beaucoup plus aux questions soulevées par les analyses, les tribunes libres et les reportages, qu'aux prétendues solutions qu'ils assènent. Et le texte des Gracques n'y échappe pas.

Parmi les cinq solutions qu'ils proposent, plus d'une enfonce des portes grandes ouvertes et en reste aux bons sentiments : un peu plus de régulation, siouplé... Avec une naïveté confondante, inquiétante même quand on sait que les Gracques rassemblent un bon nombre d'économistes de haut vol, la crème de la crème des anciens collaborateurs de François Mitterrand, Michel Rocard, Pierre Bérégovoy et Lionel Jospin.

Ainsi par exemple, la 1ère proposition des Gracques : mutualiser au profit du FMI et de la Banque mondiale, les gains que les États tireront des plans de sauvetage des banques, afin de financer l'aide au développement des pays du Sud.

C'est le futur de l'indicatif qui me laisse rêveur... Si l'intention de l'aide au développement est louable, qui peut croire aujourd'hui que les États tireront forcément bénéfice de ces plans de sauvetage vertigineux ? Je ne trouve pas l'ombre du début d'une réponse dans le texte des Gracques, si ce n'est cette curieuse analogie avec le temps des nationalisations. Je cite :

(...) Il n'est d'ailleurs pas certain que nos finances supportent une charge nette en fin de compte. Après tout, les nationalisations de 1981 ont été une bonne affaire pour les contribuables français, même si c'est pour de tout autres raisons que celles pour lesquelles elles avaient été décidées. (...)

C'est bien là tout le problème. Si les nationalisations ont été un acte politique choisi et assumé - que j'avais ardemment contesté, en son temps - les plans de sauvetage des banques sont d'une tout autre nature, comme le laisse entendre le titre même du texte des Gracques : la Bourse ou la vie. Je cite :

(...) Les marchés ont réussi la plus grande prise d'otages de l'Histoire ; ils ont posé un pistolet sur la tempe des Etats et des contribuables. Ne vous demandez plus ce que votre banque peut faire pour vous, demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre banque : la Bourse ou la vie... Les gouvernements ont cédé. Ils ont eu raison. Ils n'avaient pas le choix. (...)

Après un tel braquage à main armée, qui peut croire que les États et les contribuables récupèreront forcément leur mise, avec une plus-value ? Si un Prix Nobel d'économie passe dans les parages, les commentaires ci-dessous lui sont grand ouverts...

Les sommes engagées en couverture des banques sont gigantesques : 2500 milliards de dollars soit environ 2000 milliards d'euros dont 350 milliards d'euros en France, ce qui représente 10.000 euros par foyer fiscal c'est-à-dire 6 ans d'impôt sur le revenu !

Qui peut croire que les institutions financières ne vont pas profiter aux mieux de ces garanties colossales pour défendre leurs propres intérêts, en premier lieu ? Un tel matelas de sécurité, garanti sur le dos des contribuables, sera-t-il autre chose qu'une aubaine pour optimiser les profits des institutions financières, une fois leur survie assurée ?

Les pouvoirs publics sont-ils en situation de pouvoir obtenir la contrepartie du secours qu'ils apportent au monde de la finance déjantée ? Rien n'est moins sûr. Comment les États vont-ils faire pour négocier quoi que ce soit, maintenant que les garanties ont été apportées aux banques ? On n'est pas chez les Bisounours !

Dans l'océan de dérégulation dans lequel ils évoluent depuis des décennies, les acteurs financiers sont devenus des requins de la pire espèce. De véritables prédateurs comme on en a la preuve aujourd'hui...

D'ailleurs, Henry Paulson*, secrétaire du Trésor étasunien, ne vient-il pas de faire marche arrière aujourd'hui même, en renonçant à racheter les créances pourries des banques, les renvoyant ainsi à leurs propres responsabilités ?

Le Trésor des Étas-Unis semble préférer engager les fonds en haut de bilan pour prendre part aux actifs des banques fautives et participer activement aux décisions de leurs conseils d'administration ou de surveillance, en attendant un hypothétique retour à meilleure fortune. Les dirigeants européens feraient bien de s'en inspirer dare-dare, avant qu'il ne soit trop tard !

Deux autres propositions des Gracques ne cassent pas trois pattes à un canard :
¶ — Oui, il faut mieux surveiller les fonds propres des opérateurs non régulés (sic) pour limiter les risques qu'ils font prendre au système financier tout entier !
¶ — Oui, il faut placer les agences de notations privées sous contrôle public. Moi, j'appelle ça le B.A BA de l'impartialité. On ne peut être à la fois juge et parti, comme le sont les agences de notation, en toute impunité. C'est con comme la séparation des pouvoirs... Montesquieu, au secours !

La recommandation suivante des Gracques vaut son pesant de cacahuètes. Encore une litanie de bonnes intentions, sans l'ombre du début d'une solution concrète... Je cite :
¶ — Imposer à tous les opérateurs de marché des règles de rémunération de la performance tenant compte de la durée, et surtaxer fiscalement ceux qui ne les respectent pas.

Alléluia ! Bravo, c'est merveilleux. Juste un détail : comment fait-on ? Moi, je veux bien fiscaliser à 85 voire à 90% les rémunérations financières non réalisées 'dans la durée'. Mais sérieusement, faut-il scotcher les investisseurs dans la durée, au risque de les voir renoncer à leur engagement ?

Pour le financement de l'innovation par exemple, le capital d'amorçage et le capital développement sont deux choses différentes. L'hypothétique 'culbute' des investisseurs en capital risque est proportionnelle aux risques financiers qu'ils engagent. Quand ils perdent, ils perdent tout ou presque. Alors quand ils sortent gagnant ? Pas sûr que l'assomoir fiscal soit la meilleure solution puique leur risque est intrinsèquement lié à leur échéance de sortie... Et comment fixer la durée de référence pour analyser la performance ? Mystère et boule de gomme.

Voilà pour une première réaction à chaud, à la lecture de ce texte des Gracques, fort intéressant encore une fois, mais discutable. Sans doute y reviendrais-je dans les prochains jours, au gré des accouchements possibles de notre fameux 'G20' à Washington !

* : Sieur Henry Paulson, actuel secrétaire d'État au Trésor des États-Unis d'Amérique est également l'ancien dirigeant de la banque d'investissement Goldman Sachs...

MàJ du 14 novembre : on apprend ce soir que Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État aux Affaires européennes, va quitter le gouvernement pour rejoindre l'AMF, le régulateur des marchés financiers. Un Gracques à l'AMF... Wait & see !

8 commentaires:

  1. Tout est bien évidement compliqué, mon sentiment est qu'en fait la banque semble vouloir changer de métier. Le banquier grassouillet, haut de forme et fumant le cigare, que l'on arriverait presque à regretter, prêtant sur des projets industriels plus ou moins risqués, avec des réussites et des flops (panama, le transsibérien), est passé à l'aire du commerce virtuel. Les « produits vendus » par les banquiers sont maintenant d'une composition alchimique et d'un complexité que plus personne ne saisit. Ces « produits » sont en réalité composés de vent d'espoir et de futilité spéculative, ne fonctionnant que sur l'illusion de la valeur des choses...

    A mon sens, la solution ne réside qu'en une chose simple, favoriser l'investissement à long terme, industriel ou dans les services, et taxer lourdement toute sorte d'investissement à court terme dont on sait qu'il n'est que purement spéculatif. Et on verra de suite un assainissement du système financier.

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  2. On a beaucoup entendu que "plus personne ne comprenait rien" à la complexité des produits financiers composites. Mais est-ce une explication valable ? Ni la complexité, ni notre incompréhension ne peut expliquer la catastrophe. C'est une façon de dégager en touche à bon compte, en éludant les vraies responsabilités.

    D'abord, ces produits financiers complexes sont destinés à des échanges 'B2B' et ne sont pas accessibles sur les marchés des particuliers et des entreprises. Ensuite, les banquiers ne prennent plus aucun risque qui ne soit parfaitement connu statistiquement. La prise du risque au sens industriel, c'est un autre métier : l'investisseur et/ou la bourse.

    La taxation des revenus à court terme, c'est un peu démagogique. Un investisseur en capital risque peut avoir un objectif de sortie très rapide car par définition, la création de valeur est très rapide quand il s'agit d'innovation. Son espoir de gain est proportionnel à sa prise de risque : pour 1 réussite, combien d'échecs ? Donc réduire ses gains par une taxation drastique (80% selon les Gracques) reviendra mécaniquement à limiter sa prise de risque... Je ne suis pas convaincu que ce soit la meilleure des choses à faire pour trouver des capitaux à l'innovattion !

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  3. 3 points comme dirait notre président de la République :-):

    1) tu dis "D'ailleurs, Henry Paulson*, secrétaire du Trésor étasunien, ne vient-il pas de faire marche arrière aujourd'hui même, en renonçant à racheter les créances pourries des banques, les renvoyant ainsi à leurs propres responsabilités ?"

    Si tu permets (mais je peux me tromper car ne suis pas analyste financière) , ma lecture est qu'il ne renvoie pas les banques à leurs responsabilités.

    Ce que je comprends c'est que d'abord Paulson voulait assumer au nom des États Unis la malhonnêteté que leurs organismes financiers ont eu vis à vis de leurs homologues dans le monde en leur refilant leurs produits financiers pourav pour partager leurs pertes.
    Ensuite il s'est ravisé en pensant que les Etats Unis ne pouvaient pas se payer le luxe de l'honnêteté par les temps qui couraient. Tant pis si le monde entier partagele pire ; il a été des temps où il partageait le meilleur. Lâcheté?

    2) La SEULE régulation que personnellement je vois ( et je vous promets je ne suis pas communiste) c'est la nationalisation des structures vitales de notre pays, j'ai nommé l'eau et l'énergie notamment!

    Que les financiers fassent joujou avec leurs bourses à des fins jouissives (certainement), qu'importe, si ça leur fait plaisir mais avant il me semble évident qu'il leur faille passer par la mère maquerelle, j'ai nommé l'État. Il est évident que toute transaction doive être taxée un minimum pour générer un fond dont nous saurions grandement utiliser!

    3) Concernant le financement de l'innovation tu connais mon point de vue issu d'une réflexion qui date maintenant de 16 ans! Je ne vais pas m'étendre .. cela suffit déjà comme ça ;-)

    Ha, j'ai un dernier point. Faut toujours que j'en rajoutes! Même aux paroles de notre président! :-)

    Tu ne comprends pas que l'Etat gagne de l'argent en soutenant les banques? Ben c'est évident à moins que je délire: nous, Etat prêtons aux banques à un taux d'intérêt intéressant pour nous (rôles inversés) sauf que, nous prenons le risque qu'éventuellement elles coulent alors que nous donnons en gage nos bijoux de famille. L'Islande est un bon, oups un mauvais, exemple!

    On y comprend rien peut être mais ça n'empêche pas d'essayer!

    Lucia

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  4. Des commentaires aussi fouillés pour un billet aussi long, c'était inespéré :-)

    Réplique à Lucia en quelques mots :

    1) Paulson rachetant la malhonnêteté des organismes financiers US qui avaient 'refiler' des créances pourries à la terre entière...

    D'abord, je ne crois pas une seconde que les acheteurs aient été bernés. Ils savaient parfaitement ce qu'ils achetaient, aussi bien que les vendeurs en tout cas. C'est plutôt l'irresponsabilité des acteurs qui est en cause c'est-à-dire : celle des acheteurs autant que celle des vendeurs. Disons simplement que les deux parties préféraient ignorer le risque de ces produits, d'un commun accord !

    2) Je pense qu'il n'y a pas de honte à avoir une conception communiste de l'échange des biens les plus vitaux : l'eau et l'énergie en sont deux. Le toit en est un autre.

    Dans des sociétés développées, l'adage communiste 'à chacun selon ses besoins' doit pouvoir être mis en œuvre pour les ressources vitales.

    D'ailleurs, on peut observer que les voies de communication terrestres sont pour l'essentiel, à la charge de la collectivité, dans tous les pays d'Europe et ailleurs. Ça n'en fait pas de ces pays des parangons du modèle communiste !

    Et bien ces ressources vitales, nécessaires aux hommes et à leur développement doivent être protégées et mises à l'écart des appétits financiers, ce qui n'empêche pas qu'elles soient correctement gérées.

    3) C'est vrai que je ne te bas pas encore quant à ma longévité de fréquentation des mécanismes complexes du financement de l'innovation ;-)

    C'est un sujet en soi et il faudra bien que je me décide un jour à pondre un billet là-dessus.

    Il faut toujours tout essayer ;-)

    PS : le jour où l'État aura gagné de l'argent pour avoir engagé 360 milliards d'euros de soutien aux banques, sur le dois des contribuables, on en reparlera !
    ;-)))

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  5. Tu dis "je ne crois pas une seconde que les acheteurs aient été bernés. Ils savaient parfaitement ce qu'ils achetaient, aussi bien que les vendeurs en tout cas."

    Ben paradoxalement moi si. Je pense que pour le coup, le monde entier s'est fait avoir.
    Les américains ont compris à un moment ça sentait le roussis grâââvv et pris de panique ont concocté un produit dont ils ont le secret (trop créatifs en la matière les mecs) joli dehors et pourav dedans pour refiler la patate chaude .. un leurre qui dans le business s'apparenterait à une tromperie sur la marchandise.

    Nos renards alléchés dans le monde entier aveuglés par leur cupidité se sont fait des plans sur la comète avec la laitière, le pot au lait et le.. beurre! :-)))
    pour se rendre compte en finalité du pot aux roses... trop tard!

    C'est le monde de l'omertà, quand il y a trahison dans la famille, tout le monde la ferme d'autant quand on s'est fait avoir (pas bon pour l'image de confiance auprès des clients) mais du coup les banques ne se font plus confiance.

    Même entre elles, il y a un consensus et des règles qu'on ne transige pas.
    Il n'y avait pas moyen de sortir de cette crise sans l'intervention et la garantie des États.
    Et là ce sont les États qui profitent de l'occazz pour se faire un peu de ... beurre! Mais bon, de là à faire croire qu'il s'agisse d'une vache à lait, je pense qu'on est à nouveau dans le leurre!

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  6. Attendons le retour à meilleure fortune, avant de dire que les États se feront... du beurre sur les garanties qu'ils ont apportées aux banques ! Car pour l'heure, rien ne permet d'être sûr d'un tel scénario. L'avenir nous le dira.

    Toutes ces histoires financières sont très compliquées. C'est un peu comme si la vérité globale n'était plus accessible. Chacun y va de ses certitudes.

    À ce sujet, je recommande l'écoute de la 2eme partie du Grand Jury de ce soir, avec la prise de bec entre François Bayrou et Eric Revel, chef du service Economique de LCI :

    http://www.rtl.fr/fiche/2493780/francois-bayrou-etait-l-invite-du-grand-jury-de-rtl.html

    L'audio est ici :
    http://media.rtl.fr/online/sound/2008/1116/2497519_Ecoutez-la-premiere-partie-de-l-emission.mp3

    Pour ma part, je reste persuadé que ces sub-primes ont bon dos. C'est très intuitif je sais mais il me semble que les vraies responsabilités sont ailleurs.

    Que dire par exemple, de l'évolution des taux directeurs de la FED qui, même dans l'analyse libérale, semblent responsables de la catastrophe financière :

    http://liberauxdumodem.hautetfort.com/archive/2008/11/06/crise-du-capitalisme-ou-de-l-interventionnisme.html

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  7. On ne peut démêler la pelote de laine tant elle est pleine de nœuds, je suis d'accord.
    En revanche si on coupe dans le vif, on peut arriver à dégager le point de départ.

    Si on prend les sub-primes, elles sont tout simplement révélatrices du système qui nous régit: ce système focntionne en vases communicants; pour que certains s'enrichissent, il faut que d'autres s'appauvrissent.

    Aussi on peut penser, si on est confiant ou naïf, que le principe des subprimes n'était pas mauvais à la base, il visait à permettre aux pauvres de devenir propriétaires aux aussi en "profitant" du système.
    Ça aurait pu marcher si ce "produit financier" était limité à quelques élus puisque l'ingéniosité du montage était basé sur le prévisionnel de courbes (celle de l'immobilier entre autres) devenues "stables".

    Hors c'est ce produit même, de par son succès (puisqu'il n'y pas eu de "limites" donnés aux "commerciaux") qui a déséquilibré "l'éco-système" et infléchit la courbe.

    En conclusion, ce n'est pas que les subprimes ont bon dos mais les subprimes ont été la goutte d'eau qui a fait débordé le vase montrant ainsi et enfin la limite du système.

    TOUT LE MONDE ne peut pas devenir riche.. si on s'enrichit c'est souvent sur la misère des autres.. le toit, comme tu le disais précédemment au même titre que l'eau, l'énergie et tout élément vital aux citoyens du monde) DOIT être préservé du système capitalistique. .en tout cas dans une "certaine mesure".
    A mon sens c'est tout cela que nous avons à retenir pour stabiliser le système pour un foncionnement "durable".

    En écoutant Bayrou sur les liens que tu as donnés, je suis d'accord avec lui sur plusieurs point dont le fait d'arrêter de baser notre système sur la consommation.

    Il n'y a pas que la consommation dans la vie. Bien au contraire... Je dirais même la consommation comme nous la pratiquons dans CE système à savoir de manière excessive a des incidences graves sur la planète et par ricochet sur les éléments qui eux sont réellement, indispensables à La vie.

    Sur cette envolée lyrique .. bonne journée ;-)

    Lucia

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