dimanche 27 janvier 2013

Référendum sur le Conseil d'Alsace : quelle est la question ?

Si la réponse au référendum doit tenir en trois lettres, oui ou non, mieux vaudrait que la question posée soit claire et précise.

Or, les trois collectivités territoriales alsaciennes viennent d'y introduire beaucoup de confusion en adoptant vendredi, à quelques minutes d'intervalle, deux résolutions contradictoires indiquant chacune une question différente pour ce référendum.

Dans la résolution consacrée à l'organisation du référendum, chacune des 3 collectivités demande à l'État de soumettre à la consultation des électeurs du Bas-Rhin et du Haut-Rhin la question suivante :

— « Approuvez-vous le projet de création en Alsace, d'une Collectivité territoriale d'Alsace, par la fusion du Conseil régional d'Alsace, du Conseil général du Bas-Rhin et du Conseil général du Haut-Rhin ? »

En répondant oui ou non à cette question, il s'agit d'approuver la fusion dans son principe seulement, comme le prévoit la loi du 16 décembre 2010 dans son article 29, créant l'article L4124-1 du Code des collectivités territoriales.

Mais la deuxième résolution adoptée par les trois assemblées, confirmant celle adoptée par le Congrès d'Alsace le 24 novembre 2012, énonce une question très différente puisqu'avant le point d'interrogation est inséré un complément qui en change profondément le sens :

— « Approuvez-vous le projet de création en Alsace, d'une Collectivité territoriale d'Alsace, par la fusion du Conseil régional d'Alsace, du Conseil général du Bas-Rhin et du Conseil général du Haut-Rhin répondant aux principes d'organisation énoncés ci-joint ? »

Il ne s'agit plus là d'approuver la fusion dans son principe mais d'approuver précisément les modalités d'organisation énoncées à savoir :
  • deux présidents : un pour l'assemblée "délibérante", l'autre pour le "conseil" exécutif ;
  • deux sièges : l'assemblée à Strasbourg, le conseil exécutif à Colmar ;
  • un transfert de compétences spécifiques pour l'Alsace en matière d'éducation notamment ;
  • des capacités réglementaires pour adapter l'action publique aux spécificités de l'Alsace ;
  • des conférences départementales chargées de la concertation, de l'évaluation et des propositions en direction du conseil exécutif ;
  • des conseils de "territoires de vie" avec fonction exécutive puisqu'ils participent à la mise en œuvre des politiques régionales ;
  • une réduction du nombre d'élus limitée de 10% à 20% ;  
  • deux modes de scrutins différents pour élire le conseil unique d'Alsace, l'un uninominal à l'échelon cantonal, l'autre proportionnel de liste à sections départementales ;
  • part de proportionnelle inchangée par rapport à la situation actuelle du Congrès soit 38,5% élus à la proportionnelle et 61,5% élus au scrutin majoritaire à deux tours.

Ce projet, dont la méthode d'élaboration a été contestée, résulte d'un "groupe projet" dont les réunions et auditions n'ont pas été publiques. Ce groupe ne dispose d'aucune compétence légale pour légiférer ni même proposer, il ne s'est réuni que six fois, quelques heures en matinée, en séance non publique, y compris pour son installation et pour la préparation du congrès de novembre dernier.

À 70 jours du référendum prévu le 7 avril, la situation est donc très confuse. À quelle question précise devront répondre les Alsaciens : leur accord de principe sur la fusion ou la validation du projet qu'on leur présente ? Quelle est la légitimité du "groupe projet" (ou des trois présidents) à soumettre leur proposition d'organisation à validation par référendum, ce qui n'est aucunement prévu par la loi du 16 décembre 2010 dans l'article L4124-1 du Code des collectivités territoriales ?

À cette confusion s'ajoute un écueil juridique sérieux puisque la future loi de décentralisation ne sera pas adoptée avant le printemps c'est à dire pas connue des Alsaciens avant la campagne du référendum. Or c'est cette loi, dite acte III de la décentralisation, qui clarifiera les compétences respectives entre les différents échelons territoriaux. Comment les Alsaciens vont-ils pouvoir se prononcer sur la fusion en toute connaissance de cause, sans connaître le périmètre précis des compétences fusionnées ou transférées par la future loi de décentralisation ? 

Ne serait-il pas plus sage, dans cette situation, de reporter ce référendum de quelques semaines pour ne pas risquer d'entacher son résultat d'incohérences juridiques ou de calendrier ? Le flou artistique sur la question posée et cette marche forcée en dépit du bon sens ne risquent-ils pas de susciter l'agacement des électeurs alsaciens ? La démocratie locale mériterait d'être conduite avec un peu plus de méthode et de cohérence.

Il appartient aux trois exécutifs alsaciens et aux services de l'État de clarifier ces questions dans les meilleurs délais, pour remettre le projet de Conseil unique d'Alsace sur ses rails, si c'est encore possible ! Depuis deux ans, les avertissements n'auront pas manqué sur ce blog...

7 commentaires:

  1. Tout à fait pertinent, comme analyse, Pierre ! Je souscris pleinement !!!

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  2. Merci Hubert. Quoiqu'en me relisant, je trouve ce billet un peu long mais au moins, tous les arguments y sont concernant la sincérité de la question posée... À bientôt !

    PS : tu as bien reçu l'invitation au débat pour le 5 fév. ?

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  3. Bonsoir,
    j'essaye de trouver votre email pour vous contacter mais impossible. J'ai besoin d'échanger avec vous. Vous trouvez mon email sur mon blog (enveloppe à droite).

    Ca concerne le Lab Démocrate
    http://singulierdemocrate.over-blog.fr/pages/Le_Lab_Democrate-6527842.html

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  4. Les modalités d’organisation précises seront fixées par le législateur. Pour plus de détails sur le projet proposé, nous vous invitons à lire le très bon blog de Michel Naudo : http://naudo-michel.123website.lu/

    Michel Naudo (initiateur du Conseil d’Alsace au CESER) pourra vous indiquer que le projet ne résulte pas uniquement d’un « groupe projet », il est le fruit de plus de 10 ans de réflexion.

    Alors, pourquoi un projet ? Parce qu'une fusion sans projet n'aurait rien apporté à l'Alsace et n'aurait satisfait (pendant très peu de temps, de surcroît) que les esprits chagrins, partisans du pathétique "moins d'élus, moins de fonctionnaires, moins de dépenses"...les mêmes qui, très souvent, ne se gênent pas pour réclamer plus de proximité et plus de service public ! Le projet aura au moins le mérite de tenter de concilier ces données a priori inconciliables... Laissez-lui au moins cette chance-là !

    La "notice explicative" est là pour expliquer à quoi cela pourra servir, et pourquoi c'est une évolution qui va dans le bon sens. Si le "oui" au principe de fusion l'emporte, le projet sera soumis à 2 choses : à savoir, le législateur français d'une part, le projet politique choisi majoritairement par les électeurs lors des prochaines élections régionales d'autre part.

    Concernant la loi de décentralisation, il a été décidé par le précédent gouvernement, confirmé par l’actuel, que l’Alsace serait dans l’expérimentation. Une loi spécifique sera créée, qui s’inscrira bien évidemment dans l’acte III de la décentralisation.

    Reporter le référendum de quelques mois (après la loi sur l’acte III qui sera probablement votée début de l’été 2013) ? Le référendum devait obligatoirement avoir lieu à 6 mois d’intervalle d’une échéance électorale. Les municipales sont en mars 2014. Pensez-vous qu’un référendum et qu’une campagne en juillet-août-septembre 2013 aurait été un succès ?

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  5. Merci pour ces précisions, anonyme. Elles étaient nécessaires.

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  6. @anonyme et @anonyme qui répond à anonyme :

    1 -- La fusion n'est pas une "expérimentation" propre à l'Alsace mais une disposition légale ouverte à tous les départements et à toutes les régions de France et de Navarre, par la loi du 16 décembre 2010, à laquelle vous pouvez accéder par le lien donné dans mon billet ci-dessus ;

    2 -- Si les Alsaciens devaient le décider, il faudra évidemment que la fusion de la région et des départements alsaciens soit organisée selon un schéma décidé et concerté par le Parlement. On comprend mal que la notice impose un schéma préétabli et fort discutable (deux présidents, deux sièges, maintient d'un mode de scrutin double, réduction du nombre d'élus ne dépassant pas 10 ou 20%, etc) alors qu'il reviendra au Parlement d'en décider pleinement.

    Pour moi, les rédacteurs de ce "projet" n'ont reçu aucun mandat des Alsaciens pour l'écrire et d'ailleurs, la loi de la République ne leur donne aucune prérogative en ce domaine. Il convient donc de rejeter clairement le projet proposé afin que le Parlement reste libre de légiférer comme il l'entend, et après qu'il aura organisé toutes les consultations nécessaires.

    3 -- Quant à la date du référendum prévu pour le 7 avril, vous êtes très mal informé. Rien n'empêche la tenue d'un référendum organisé par un département ou une région, moins de 6 mois avant une élection municipale. En revanche, un tel référendum serait impossible à organiser 6 mois avant une élection cantonale ou régionale. Ou encore impossible à organiser durant la campagne officielle d'une élection municipale, campagne qui n'est ouverte qu'après le dépôt des candidatures.

    Ne croyez pas toutes les sornettes que vous racontent vos élus... L'interdiction d'organiser un référendum 6 mois avant une élection ne concerne en réalité que l'élection des assemblées ayant elles-même décidé de ce référendum. En l'occurrence, cette interdiction ne concerne nullement les élections municipales puisque le référendum est appelé ici par les Conseils généraux et le Conseil Régional.

    Je publierai sur ce blog un billet plus précis sur le sujet. En attendant, je vous laisse un peu de lecture :
    http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=D804C9391E48712135443407CB02F87C.tpdjo10v_1?idArticle=LEGIARTI000006389051&cidTexte=LEGITEXT000006070633&dateTexte=20130211

    Enfin, je n'ai pas l'habitude de répondre aux commentaires anonymes sur ce blog. Merci de vous identifier.

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  7. La notice n'impose rien du tout. Elle propose un projet.
    La date du référendum a été mûrement réfléchie pour pouvoir ensuite préparer convenablement le futur projet de loi, avant les prochaines élections cantonales et/ou régionales.

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