dimanche 28 novembre 2010

L'usine à gaz du marché des quotas de CO2, suite et pas fin... Interview de Fabienne Keller.


Le marché des quotas de CO2 n'en finit pas de révéler ses imperfections. Après les fraudes à la TVA, après l'effondrement du marché et autres formes d'arnaques ou scandales (ex. : projets HFC-23) de nouveaux effets pervers apparaissent.

Certains industriels profitent de l'effet d'aubaine de la gratuité jusqu'en 2014 et préfèrent réduire leur activité pour revendre leurs droits d'émission non consommés. La vente de ces quotas d'émissions représenterait jusqu'à 15% de leur chiffre d'affaire.

Autrement dit, le marché des quotas de CO2 aboutirait à délocaliser des activités... Ne marcherait-on pas sur la tête ?

Pour corriger (ou rafistoler) cette anomalie, le Sénat a adopté, mercredi 24 novembre, un amendement au projet de loi de finances 2011, qui vise à faire payer aux industriels 10 % en moyenne de leurs quotas de CO2 dès 2011, alors que le marché carbone européen ne prévoit de rendre ces quotas payants qu'à partir de 2013.

Fabienne Keller, sénatrice UMP du Bas-Rhin, propose de réduire la quantité de quotas "alloués aux installations industrielles ayant fortement réduit leur activité". Elle s'en explique ci-dessous.

Reste une question fondamentale pour laquelle je n'ai toujours pas trouvé de réponse : pourquoi les quotas ont-ils été attribués gratuitement aux pays industrialisés jusqu'en 2014 ?
Cette faveur ne constitue-t-elle pas manifestement une concurrence déloyale à l'égard des pays en développement ?


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Pourquoi vouloir anticiper la vente des quotas de CO2 ?

Fabienne Keller — La France a distribué très largement ses quotas aux sites industriels existants et a sous-évalué la réserve pour les nouvelles industries qui s'implantent en France et créent des emplois. Celle-ci est vide. Il n'est pas question de demander à ces entreprises d'acheter des quotas que l'on a distribués gratuitement à leurs concurrents. Cela va obliger la France à acquérir ces quotas sur le marché du carbone, créant un déficit de 400 millions d'euros pour 2011 et 2012.

Il faut donc trouver des financements. La proposition du Sénat en associe trois : rendre payants, dès 2011, de 5 % à 15 % des quotas pour les entreprises, en fonction de leur degré d'exposition à la concurrence internationale ; affecter à cette dépense la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité ; enfin, la récupération des quotas auprès des industriels qui ont réduit leur activité de plus de 25 % depuis 2007.

Pourquoi ajouter cette mesure ? Certains abusent du système ?

Fabienne Keller — Certaines entreprises y trouvent un effet d'aubaine : elles réduisent fortement leur activité, donc leurs émissions de CO2, mais continuent à recevoir le même volume de quotas gratuits, qu'elles revendent sur le marché. On parle de centaines de milliers de quotas à 15 euros l'unité ! Pour certaines entreprises, la vente des quotas de CO2 représente 10 % ou 15 % de leur chiffre d'affaires.

Le dispositif ne doit pas avantager les entreprises qui réduisent leur activité. Il faut éviter que le système des quotas encourage les délocalisations. Cet amendement empêchera de récompenser des entreprises comme la raffinerie Total de Dunkerque, qui transfère ses activités en Arabie saoudite, délocalisant ses émissions de CO2 sans s'encombrer de contraintes environnementales mais sans perdre ses précieux quotas de CO2...

La Commission européenne refuse que les Etats changent ainsi les règles du jeu.
Comment espérez-vous la convaincre ?

Fabienne Keller — L'Europe laisse à chaque pays le soin de répartir son enveloppe de quotas. La sous-dotation des nouveaux entrants est donc un problème national, et non communautaire. Par ailleurs, la Commission a laissé la possibilité aux pays de rendre payants une petite partie des quotas dès 2008, même si la France avait décidé de ne pas le faire. On ne fait qu'anticiper ce qui deviendra la règle en 2013. Ces mesures respectent l'esprit du marché carbone. La Commission ne peut pas s'y opposer.

Craignez-vous de rendre les industriels français furieux ?

Fabienne Keller — Nous avons déjà eu l'occasion d'étudier ces propositions avec les représentants du patronat. Bien sûr que les industriels y sont extrêmement défavorables. Mais c'est indispensable.

Dans l'édition du Monde daté 27.11.10

3 commentaires:

  1. Communiqué de Presse - 02.08.2010 · Une coalition d’ONGs écologistes accuse aujourd’hui le Conseil exécutif du MDP (Mécanisme de Développement Propre) de tarder à prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à un détournement spéculatif du mécanisme de développement propre du Protocole de Kyoto, et ceci à cause de conflits d’intérêt en son sein. Un rapport sur les projets HFC-23 controversés, qui devrait être publié ce soir, sera le reflet de l’insistance des Japonais, des Chinois et des Indiens membres du Conseil à ne pas remettre en question l’ancienne méthodologie qui est pourtant extrêmement discutable.

    Les crédits carbone générés par la destruction du HFC-23, un gaz qui contribue fortement à l’effet de serre, représentent plus de la moitié des 420 millions de crédits MDP émis à ce jour. On estime que ces projets rapportent de 60 à 75 fois plus que le coût réel de leur destruction par les usines, ce qui représente un véritable effet d’aubaine. Il a été clairement démontré que les fabricants de gaz réfrigérants profitent de manière indue d’une lacune du système. Ils augmentent délibérément le volume des gaz produits pour recevoir le prix de leur destruction. C’est la raison pour laquelle la coalition d’ONGs écologistes a soumis à l’ONU la demande que cette méthodologie soit révisée. Cette question a finalement été discutée par le Conseil exécutif cette semaine, lors d’une séance ouverte1 dont les conclusions seront publiées ce soir.

    Alors que le président du comité des méthodologies (methodology panel), Lex de Jonge, a recommandé de suspendre cette méthodologie controversée avec effet immédiat, afin d’examiner sérieusement cette question délicate et d’envoyer un signal fort au Conseil exécutif, plusieurs membres de ce Conseil ont estimé pour leur part qu’une telle action n’était pas indispensable.

    Bien que le comité des méthodologies du MDP a lui-même relevé quatre différentes manières de surestimer ces crédits, le membre japonais du Conseil exécutif a prétendu à plusieurs reprises que ce n’était pas du tout une priorité, que la requête des ONGs était invalide pour des raisons de procédure, et a même ajouté: “je ne suis pas d’avis que la demande de révision soit d’actualité, nous ferions mieux de la tuer dans l’oeuf”.

    Il se trouve que le gouvernement japonais est impliqué dans 8 projets HFC-23, et que 17 compagnies japonaises, dont Mitsui & Co, Mitsubishi, et Tokyo Electric sont activement engagées dans le financement de projets HFC-23 pour obtenir des crédits carbone à bon compte. C’est le Japon qui a participé au projet HFC-23 à Ulsan, en Corée du Sud, qui est le premier à demander le renouvellement de sa période d’accréditation de 7 ans. Ce projet a généré 1,4 millions de crédits sur la première période, (2003-2010), et devrait permettre d’en obtenir encore 2,2 millions de 2010 à 2017, l’équivalent en terme monétaire d’environ 3,6 milliards d’euros . Pourtant, la vérification des données montre que l’usine de Ulsan a vraisemblablement artificiellement augmenté sa production de manière significative.

    Cela n’a pas empêché Kuroki de déclarer qu’une révision de la méthodologie ne changerait en rien le projet d’Ulsan, tout en admettant que “le problème n’est pas nouveau”.

    “Un système qui a des failles peut et doit être réparé. Mais refuser de voir les problèmes quand ils sont aussi importants est inacceptable. Le véritable scandale commence maintenant!” commentait Eva Filzmoser, directrice de CDM Watch, qui assistait à la séance.

    (...)

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  2. La Commission européenne a publié hier sa prise de position très attendue sur les critères de qualité en fonction desquels sera limitée l’usage, dans le cadre du système européen d’échange de quotas d’émissions (ETS), de crédits carbone générés par des projets de gaz industriels. Cette proposition arrive dans le sillage d’une série de scandales entourant ces certificats de compensation douteux. Les militants du climat accueillent positivement ce premier pas vers un système européen qui ne doit pas être un dépotoir recueillant des compensations qui provoquent, en fin de compte, une augmentation globale des émissions de gaz à effet de serre.

    L’avant-projet de règlement présenté aujourd’hui propose une totale exclusion dans l’ETS européen, à dater du 1er janvier 2013, des crédits carbone générés par des projets de destruction de HFC23 et de N20 (protoxyde d’azote provenant de la production d’acide adipique).

    « Nous félicitons la Commission européenne de ce geste fort, cela fait 3 ans que nous attendions ce moment. La proposition exprimée aujourd’hui est un jalon sur le chemin conduisant à l’élimination de mauvais crédits carbone du système et contribue à améliorer l’efficacité environnementale de l’ETS européen » a déclaré Chaim Nissim, secrétaire de Noé21.

    Pas de période de grâce pour l’industrie aux dépens du climat

    Au cours de ces dernières semaines, la proposition a été retardée à cause des pressions exercées par une petite mais véhémente minorité d’industriels faisant pression pour que soit repoussées les restrictions liées aux projets de gaz industriels. « La Commission a su demeurer ferme, plaçant la probité environnementale au-dessus des intérêts particuliers de l’industrie, ce qui est à mettre au crédit du processus politique européen » a dit Fionnuala Walravens, militante de l’Agence d’investigation environnementale (EIA). Elle ajoute que « la proposition annoncée aujourd’hui reflète les intentions que la commissaire européenne à l’Action climatique, Hedegaard avait exprimé au mois d’août de cette année. »

    La proposition empêche que ces crédits soient « bancables » pour la prochaine période

    L’interdiction de l’utilisation des crédits générés par les gaz industriels après janvier 2013 répond aux inquiétudes quant à un report des crédits émis durant la phase actuelle de l’ETS européen (2008-2013) sur la prochaine phase du système (2013-2020). Les militants du climat ont souligné à maintes reprises que les limitations ne seraient effectives qu’en combinaison avec un embargo sur leur « bancabilité ».

    « Nous attendons à présent que les Etats membres de la Communauté européenne s’en tiennent à l’ambition exprimée dans cette proposition » a annoncé Eva Filzmoser.

    L’avant-projet de règlement précise que les mesures qu’il comporte sont conformes à l’opinion du Comité sur le changement climatique, qui devrait examiner la proposition de la Commission en décembre.

    (...)

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  3. (...)

    Note à l’usage des rédactions :

    En réponse aux préoccupations croissantes au sujet des crédits carbone générés par des projets de destruction de gaz industriels, la Commissaire européenne à l’Action climatique, Connie Hedegaard, a annoncé en août 2010 que la Commission rédigerait une proposition sur une limitation, en fonction de leur qualité, de l’utilisation dans l’ETS européen des crédits issus de projets de gaz industriels .

    Les nombreux problèmes associés aux projets de réduction de gaz industriels dans le mécanisme de développement propre (MDP) ont été de longue date un objet de préoccupation pour les militants du climat.

    Un document soumis par CDM Watch au Comité exécutif des Nations Unies en mars de cette année1 souligne la manipulation scandaleuse du système par les promoteurs de projets de réduction de HFC-23 en Chine et en Inde et démontre l’encouragement contre-productif de cette méthodologie à surproduire des HCFC-22 et des HFC-23. Cet état de fait a généré des millions de crédits carbone fantômes qui ont envahi le marché du carbone sans aboutir à une réduction effective des émissions de carbone.

    Une étude plus récente sur le N2O provenant de la production d’acide adipique2 a démontré que ces types de projets MDP avaient conduit à des « fuites de carbone », - une modification dans le processus de production provoquant une augmentation globale des émissions – et l’émission d’environ 13,5 millions de certificats de réduction d’émissions fantômes.

    Documents :

    Avant-projet de règlement et autres documents liés au sujet à l’adresse : http://ec.europa.eu/clima/news/index_en.htm



    Documents soumis par CDM Watch et l’EIA à la Commission européenne :

    http://www.eia-international.org/cgi/reports/reports.cgi?t=template&a=211

    http://www.cdm-watch.org/?p=1311



    Questions fréquemment posées sur les gaz industriels & réponses de Noé21: http://www.noe21.org/site/index.php/fr/section-blog/43-campagnes/64-hfc-23,



    Contacts :

    , secrétaire Noé21, Genève 079 316 98 13, cnissim@noe21.org Cette adresse e-mail est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir.

    Natasha Hurley, cdm-watch, natasha.hurley@cdm-watch.org Cette adresse e-mail est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir.

    Fionnuala Walravens, EIA, fionnualawalravens@eia-international.org Cette adresse e-mail est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir.

    1 http://cdm.unfccc.int/methodologies/PAmethodologies/revisions/58215

    2 http://sei-us.org/publications/id/353

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