jeudi 18 novembre 2010

Remaniement : les femmes, seule incarnation de la diversité, par Azouz Begag



Tribune d'Azouz Begag dans

« Le remaniement ministériel auquel nous venons d'assister marque un tournant dans la conception sarkozyste de la diversité. Rama Yade et Fadela Amara sont remerciées. Elles étaient sans doute devenues des minorités trop visibles aux yeux de ceux-là mêmes qui les ont promues.

« Trop causantes, aussi, même si l'ancienne responsable de l'association Ni putes ni soumises n'avait pas manqué d'affirmer son soutien à Brice Hortefeux lors de son dérapage raciste contre les Auvergnats, qui lui valut une condamnation pour injures raciales. Sa collègue secrétaire d'Etat aux aînés, Nora Berra, avait aussi apporté son soutien au ministre de l'intérieur, soucieux d'être légitimé par ses collègues de la diversité.

« Nora Berra reste membre du gouvernement Fillon 2. Sans doute pour sa discrétion et son humilité médiatique... et elle incarnera avec Jeannette Bougrab cette troublante diversité qui accompagnera l'équipe gouvernementale au combat jusqu'à la présidentielle. Des femmes remplacent des femmes. Il faut s'interroger sur cette façon de féminiser l'intégration des minorités en politique. Ce n'est pas fortuit si ce ne sont que des femmes issues de l'immigration que Nicolas Sarkozy a promues au gouvernement.

« Cet affichage doit satisfaire l'électorat majoritaire pour qui les femmes d'origine immigrée ont une meilleure image que les hommes. Elles inspirent moins d'inquiétude. "Elles présentent bien, elles présentent mieux", entend-on ici et là. Il n'est en aucun cas destiné aux minorités visibles qui participent encore peu aux consultations électorales. En octobre 2009, en Autriche, la campagne avait montré que le chef du Parti de la liberté (FPÖ) n'avait cessé de stigmatiser les immigrés musulmans par le biais d'un slogan "Sécurité pour les femmes libres !", qui excluait à ses yeux celles qui portent le voile. La tendance est claire dans nombre d'autres pays européens.

« Au sein de la population arabo-musulmane de France, cette féminisation exclusive de l'intégration des minorités passe mal. Elle a un goût amer de provocation. Elle symbolise aux yeux de beaucoup une émasculation, une volonté de créer une image de vous qui vous paralyse, qui vous fait honte de ce que vous êtes, tellement elle est mauvaise... Cette image négative crée de la colère et de la violence. La tendance est claire depuis 2007. Il faut se remettre en tête, durant la campagne présidentielle, l'intervention télévisée du 5 février 2007 du candidat de l'UMP à propos des moutons égorgés dans les baignoires, la polygamie et l'excision des filles : elle visait les hommes musulmans.

« Ainsi, la conception caricaturale, manichéenne qui voudrait séparer le bon grain de l'ivraie, la "racaille" - les garçons -, des travailleuses méritantes, "ni putes, ni soumises", incarnation de l'excellence du modèle méritocratique, dévoile la production d'un discours sur l'islam dans lequel la femme serait la digne Marianne, et le mâle un proxénète barbu et macho en puissance. Au demeurant, une menace potentielle pour l'équilibre et la tranquillité nationale.

« Lors de la campagne de 2007, c'est Rachida Dati que Nicolas Sarkozy a choisie comme porte-parole de campagne au côté de Xavier Bertrand. Elle deviendra ministre de la justice. En réponse, dans le camp socialiste, Ségolène Royal choisira Najat Belkacem, proche du maire de Lyon. En avril, c'est encore une femme, Jeannette Bougrab, qui était nommée à la tête de la Halde, alors que l'ex-président de SOS-Racisme Malek Boutih était candidat. Elle deviendra ministre. Si à l'Assemblée nationale, parmi les 577 députés, il n'y a aucun "représentant" d'origine maghrébine, au Sénat tous les sénateurs issus de l'immigration sont des femmes.

« Cette féminisation de l'élite politique issue de la diversité a accru le sentiment d'éviction des jeunes Arabes, alors que depuis trois décennies ce sont eux qui subissent la plus grosse charge des vexations, des humiliations et des violences sociales et économiques.

« Ces nominations marquent une nouvelle étape dans les prérequis exigés des enfants de l'immigration désireux de faire carrière en politique : qu'ils soient des minorités invisibles et silencieuses. C'est ce que la société d'accueil demandait à nos parents arrivés en tant que force de travail dans les années d'après-guerre ! Ce qui s'appelait alors raser les murs. 2011 sera l'année de tous les risques d'exacerbation identitaire. Les provocations de tous bords ont déjà commencé. Après avoir été louée et chantée à tue-tête, la diversité est désormais orpheline en politique. Le terrain est libre pour le déclenchement des hostilités contre les autres. »

Azouz Begag, chercheur au CNRS, labo prefics, université Rennes-II, ancien ministre de l'égalité des chances.
Tribune parue dans Le Monde du 19.11.10
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3 commentaires:

  1. Ben te conseille de jeter un oeil sur les recherches d'un certain Vincent Geisser sur la question des "élites d'origine maghrébine dans le système politique français" .. très intéressant .. m'en veux pas de ne pas te mettre les liens mais tu trouveras facilement :-)

    Sinon personnellement je trouve que les femmes d'origine maghrébine, de ce que j'ai pu voir pendant les campagnes électorales sont plus impliquées dans la vie citoyenne que les hommes et sont plus "battantes" . Dans ce sens, elles se retrouveraient plus facilement dans les partis et "passeraient" peut etre mieux que les hommes car bénéficiant peut etre d'une discrimination par la séduction :-)
    Regarde Rachida (Dati) plutot mimi non ? Et Rama (Yade) carrément canon, non? :-)

    Par ailleurs, n 'oublies pas que liste chabada oblige, celles-ci sont bienvenues d'autant qu'il faille en effet un quota tacite pour séduire l'electorat d'origine maghrébine.

    Ceci dit, y aurait un Rachid Arhab en politique, je le suivrais les yeux fermées .. il est bôôô non? :-)

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  2. Beh .. j'en faisais pas trop un concours d'élégance, en fait .. juste une question statistique.

    Sinon, les goûts et les couleurs .. ;)

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