vendredi 30 octobre 2009

Région Alsace : le plan d'urgence pour l'emploi des jeunes passé au crible

Deux mois à peine après la disparition d'Adrien Zeller, la nouvelle présidence du Conseil régional d'Alsace semble vouloir imprimer sa marque par un nouveau mode de gouvernance, un brin autoritaire -- le Chef sait tout et décide de tout, tout seul, dans l'urgence, sur le modèle sarkozyste --, mode de gouvernance qu'on ne connaissait pas à Adrien Zeller.

Ainsi, le plan Agir pour l'emploi -- dit parfois Plan d'urgence pour l'emploi des jeunes -- a été adopté par la majorité UMP comme un seul homme, sans-même avoir été examiné au préalable par les différentes Commissions ad-hoc du Conseil régional. La plupart des 11 mesures annoncées sont directement sorties du chapeau de la Présidence, sans concertation véritable avec les socio-professionnels et sans mise au point avec l'ensemble des Conseillers régionaux.

Ce nouveau mode de gouvernance, autoritaire et non concerté, très sarkozyste au fond, explique à lui seul les nombreux défauts de ce plan. Au bout du diagnostic, j'attribue :

- 3 cartons rouges -- rapport coût/bénéfice catastrophique et gros déficit de gouvernance,
- 5 cartons jaunes
-- rapport coût/bénéfice moyen, recettes classiques & mesures d'affichage,
- 3 points d'interrogation -- sur des sujets majeurs, totalement absents de ce plan et
- 4 feux verts seulement -- rapport coût/bénéfice favorable voire très favorable.

Note globale : 5 /10. Peut mieux faire !
Analyse détaillée du plan et de ses manques :

E M P L O I S

« La Région soutient la création de 1 000 emplois de jeunes de moins de 26 ans ou à la recherche d'un premier emploi par une aide directe de 2 000 € par emploi et par entreprise. » Détail de la mesure 1

Carton rouge : Une prime de 2.000 euros n'a strictement aucun pouvoir incitatif sur la création de véritables emplois en CDI ou CDD de 12 mois minimum. Un emploi se crée lorsqu'il est justifié économiquement et socialement au sein de l'entreprise. Effet d'aubaine garanti pour les 1.000 premiers dossiers reçus ! Il en coûtera 2 millions d'euros à la Région Alsace... Effet pervers en embuscade : pour un poste créé non pourvu, l'âge des candidats devient un critère de sélection à part entière, au détriment des plus de 26 ans -- et surtout des plus de 50 ans qui ne souffrent pas moins de l'exclusion à l'emploi et dont le profil et la qualification pourraient être mieux adaptés. On déplace le problème mais on ne règle rien. C'est extrêmement coûteux, totalement inefficace, parfois contre-productif. En deux mots : ridicule et ruineux. Ou comment jeter l'argent des contribuables par la fenêtre !

« La Région facilite par une prime complémentaire, l'embauche des jeunes en s'appuyant sur tous les contrats aidés existants (200 € de prime mensuelle sur la base d'un temps plein). » Détail de la mesure 2

Feu vert : En temps de crise, augmenter le bénéfice et la visibilité des emplois aidés pour des publics ciblés paraît être une bonne chose. La mesure est réservée à des employeurs spécifiques (associations, communes et communautés de communes) et la collectivité profite globalement des services rendus par ces emplois -- contrats d'accompagnement vers l'emploi CAE dit "passerelle" et contrat d'avenir. On peut espérer que le diagnostic des différents dispositifs soit correctement assuré en amont pour que ces primes bénéficient en priorité aux dispositifs les plus efficaces en terme d'insertion et d'emploi des jeunes. La part contributive de l'employeur pourrait être réduite jusqu'à quelques centaines d'euros par mois.

« La Région aide davantage l'investissement des entreprises qui embauchent un ou deux apprentis supplémentaires. » Détail de la mesure 3

Carton jaune : Aspect positif : cette aide à l'embauche indirecte s'inscrit dans le projet de développement plus global de l'entreprise, avec des taux d'aide à l'investissement bonifiés sur des critères d'innovation ou de développement durable. La limitation à deux emplois créés est une bonne chose pour mieux cibler les TPE et 'petites' PME au sens européen. Mais pourquoi diable en réserver le bénéfice à l'embauche des seuls apprentis ? Toute création d'emploi qualifié devrait augmenter la capacité de financement des investissements productifs associés, dès lors qu'ils sont tournés vers les marchés de demain. Je ne vois aucune raison de réserver cette mesure judicieuse à l'apprentissage uniquement. Si quelqu'un voit une raison valable, les commentaires sont ouverts.

« La Région lance un appel à projets pour les jeunes en s'engageant dans un projet personnel ou collectif créateur d'emploi. » Détail de la mesure 4

Carton jaune : C'est la mesure la plus énigmatique de ce plan. Trois cent à 1.500 euros pour soutenir des projets individuels à condition qu'il débouche sur l'emploi... on aimerait y croire ! La Région a-t-elle les ressources en interne pour instruire et pour encadrer ce genre d'appel à projets ? Pourquoi ne pas se reposer sur les ONG, les associations sportives ou culturelles ? Mesure énigmatique assurément... démagogique ou idéologique peut-être ? J'espère me tromper. On a évité le carton rouge, au regard du faible coût annoncé pour cette mesure. Au bénéfice du doute, j'accorde le droit à l'expérimentation. À condition qu'un bilan soit réalisé publiquement avec présentation de quelques "projets individuels" exemplaires.

F O R M A T I O N S

« La Région aide les entreprises qui embauchent des jeunes en contrat de professionnalisation par une aide à la rémunération de 2 000 € par contrat dans les secteurs d'activités à fort besoin de recrutement. » Détail de la mesure 5

Carton rouge, encore : Comme pour la mesure n°1, on frôle le ridicule, et à grande échelle ! Depuis quand les secteurs d'activité 'à fort besoin de recrutement' (sic) ont-ils besoin d'être aidés financièrement pour les inciter à embaucher ? On nage en plein délire... Le problème est ailleurs : la formation (éventuellement) et surtout : l'attractivité des ces secteurs (conditions de travail). Les contrats de professionnalisation sont sans doute une bonne piste mais subventionner l'embauche dans un secteur à fort besoin de recrutement, c'est un effet d'aubaine absolument garanti à 100% ! Encore 2 millions d'euros puisés dans la poche de la Région pour alimenter directement l'économie de secteurs à fort besoin de recrutement, qui ne souffrent que modérément de la crise, avec des niveaux de qualification somme toute assez modeste, en moyenne -- propreté, hôtellerie, restauration, bâtiment, travaux publics... Pour le contribuable lambda que je suis, c'est juste incompréhensible ! Sont-ils tombés sur la tête ?

« La Région forme des jeunes peu qualifiés en vue d'un emploi préalablement identifié dans une entreprise. » Détail de la mesure 6

Carton jaune : C'est le moins qu'on puisse attendre de l'institution régionale, qu'elle se soucie de l'adéquation entre les gisements d'emploi et les formations professionnelles dont elle a la charge! N'est-ce pas la mission-même de la Région que faire coïncider les filières de formation professionnelles avec l'économie régionale ? Qui d'autre pourrait s'en charger mieux que la Région elle-même ? En fait, il s'agit ici de remédier, par un accompagnement individuel, aux défaillances des filières de formation régionales. Dont acte ! C'est un effet d'annonce pur et simple : un coup d'épée dans l'eau.

« La Région organise avec les futurs employeurs des formations pour les métiers des services aux personnes âgées, dépendantes et de la petite enfance. » Détail de la mesure 7

Carton jaune : Vivement la fusion des régions et des départements ! Sans contester la clause de compétence générale de la future assemblée territoriale (à venir et en attendant la réforme...), il serait préférable que la Région n'empiète pas trop sur les compétences jusqu'ici dévolues aux services sociaux des Départements, voire sur ceux délégués aux services sociaux des grandes métropoles régionales... Quand trois niveaux de collectivités s'occupent de la même chose, on peut être sûr qu'au bout du compte, la facture s'alourdisse dangereusement pour le contribuable... Alors vivement qu'on éclaircisse les rôles respectifs de chacun et en attendant, pourquoi ne pas confier exclusivement à la Région, la formation des personnels pour les métiers de services aux personnes âgées dépendantes et de la petite enfance ? Les contribuables espèrent que le message pourra être passé sans tarder aux départements et aux communautés urbaines...

C H A N T I E R S

« La Région aide la rénovation basse consommation énergétique de 100 bâtiments communaux. » Détail de la mesure 8

Feu vert : Bravo. Voilà le type-même de dépense exemplaire. Les premiers bénéfices sont pour l'activité et donc sur l'embauche des professionnels du secteur. Les bénéfices secondaires sont intégralement redistribués aux contribuables car des bâtiments communaux moins énergivores, ce sont aussi des bâtiments communaux plus économes en fonctionnement.

« La Région aide la rénovation basse consommation énergétique de 1 000 logements sociaux. » Détail de la mesure 9

Feu vert : Bravo, bis repetita. Même remarque pour l'emploi chez les professionnels du secteur. Les bénéfices secondaires étant principalement redistribués aux locataires les plus modestes qui bénéficieront d'un gain de pouvoir d'achat par la réduction de leurs charges locatives : des logements mieux isolés sont des logements plus économes, dans le secteur social comme ailleurs. La facture est lourde : 3 millions d'euros (1.000 logements aidés à 3.000 euros/logement) mais très utilement dépensée. Mieux que l'État, la Région est à même de réaliser les réhabilitations exemplaires en matière d'isolation et de conversion basse énergie du parc de logements sociaux. Pourquoi ne pas comptabiliser également les réductions d'émission de gaz à effet de serre ? Pourquoi ne pas aider également la conversion des chaudières collectives vers le bois de chauffage ? Pourquoi ne pas aider également la mise en place de réseaux de chauffages urbains, y compris dans les villes moyennes et les gros villages ? Assurément, voilà une piste à fort potentiel de développement d'emplois, dans les objectifs de Kyoto sur la réduction des gaz à effet de serre.

« La Région accentue l'aide à la rénovation des gares et de leurs parkings. » Détail de la mesure 10

Feu vert : Bravo (ter). Sous l'impulsion d'Adrien Zeller, la moitié des 162 gares alsaciennes ont déjà bénéficié de ce programme de rénovation de la Région Alsace. Le réseau TER Alsace connait un succès important à partir des grandes villes du sillon rhénan. Mais il faut encore accroître l'attractivité du réseau pour les territoires moins denses. Le déplafonnement des aides régionales permettra d'inciter un peu plus les communes petites et moyennes, à réhabiliter leurs gares, à en aménager les abords pour améliorer l'accès des voyageurs. La construction de parkings (vélos et voitures) favorisera l'inter-modalité. C'est tout bénef pour l'emploi du secteur. C'est tout bénef pour adoucir les transports inter-urbains. Même en Alsace, il reste encore de nombreuses lignes désaffectées & gares abandonnées à réhabiliter ! Tout un programme...

« La Région consacre 10 M€ supplémentaires pour les travaux de maintenance dans les lycées. » Détail de la mesure 11

Carton jaune : c'est de loin la mesure la plus "coûteuse" si l'on en croit l'étiquette... Les travaux de maintenance dans les lycées sont une très bonne chose. Mais en réalité, les 10 millions d'euros annoncés ne sont que des dépenses anticipées sur les budgets ultérieurs. C'est un procédé de bon aloi en période de crise mais au delà de l'effet d'annonce, les bénéfices en terme d'emploi sont très légers. Des travaux de maintenance engagés avec quelques mois d'avance, pourquoi pas ? Mais le coût réel est très inférieur à celui affiché et les gains en terme d'emploi quasi-inexistant. Pourquoi ne pas avoir mieux ciblé les dépenses, vers les économies d'énergies des lycées par exemple ?

O U B L I S !

1er point d'interrogation : la formation initiale, absente du plan pour l'emploi. Pour des raisons historiques, l'Alsace reste une des régions en queue de peloton du taux d'accès au baccalauréat pour une classe d'âge. Pourtant, le baccalauréat, général ou professionnel, reste la meilleure garantie d'adaptation à l'évolution incessante des qualifications professionnelles. Ce dysfonctionnement de l'enseignement général en Alsace doit être corrigé afin de donner à tous et aux plus jeunes en particulier, les meilleures chances de réussite dans l'évolution de leurs parcours professionnels.

2ème point d'interrogation et second absent du plan pour l'emploi : l'apprentissage des langues. Au delà du seul bilinguisme cher aux défenseurs de l'Eurodistrict du Rhin supérieur, c'est l'apprentissage de toutes les langues qui doit être favorisé, au cœur de l'Europe, à tous les âges de la vie. L'Alsace reste une des rares régions françaises à connaître un solde migratoire positif, en raison sans doute de sa vocation européenne. Le multi-linguisme devrait devenir une marque de fabrique de toutes les formations en Alsace. Et l'apprentissage des langues étrangères, européennes mais pas exclusivement, devrait y être favorisé par des dispositions pratiques, tout au long de la vie. Être polyglotte dans une région cosmopolite, au cœur de l'Europe... Peut-on rêver mieux pour engager une vie professionnelle, à tous les niveaux de qualification, en s'ouvrant aux cultures européennes ?

L'innovation est le 3ème absent de ce plan pour l'emploi. Au delà d'un catalogue de mesures, il s'agit d'insuffler la dynamique nécessaire à la mobilisation des acteurs. Il faut un fil conducteur & mobilisateur qui manque cruellement à ce plan pour l'emploi. L'innovation est la meilleure promesse des emplois futurs ; elle est dramatiquement absente. Pourtant, les pôles de compétitivité régionaux ne manquent pas d'inspiration : véhicules du futur, innovations thérapeutiques et pôle fibre qui devrait s'élargir, à mon sens, à l'innovation dans la filière bois.

Dernier carton rouge pour la mauvaise gouvernance. La démocratie locale a été malmenée. Si les commissions du Conseil régional n'avaient pas été court-circuitées dans l'urgence -- seules quelques mesures ont été examinées --, le plan Agir pour l'emploi aurait été expurgé de ses mesures les plus discutables, assurément. Dommage.

6 commentaires:

  1. super diagnostic très détaillé! Je vais réétudier cela de plus près!

    Merci en tout cas!

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  2. L'innovation est bien contenue dans le plan ; voir la mesure numero 3

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  3. @ DL.
    Où? Je suis miro.

    @ Pierre
    D’accord avec ton analyse.

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  4. @ DL :

    Oui mais ... à la marge, vraiment. Et encore, cela ne concerne qu'une bonification du taux de financement d'un investissement productif (vous suivez ;-) dans le cas ou un ou deux apprentis sont embauchés en parallèle... On peut rêver plus lisible s'il s'agissait de faire de l'innovation le fer de lance de l'emploi, comme elle devrait l'être. Dans le secteur des PME sous-traitantes de l'industrie automobile par exemple, pourquoi avoir totalement déconnecté ce plan du Pôle de compétitivité inter-régional sur le Véhicule du Futur ?...

    Ou inversement : à quoi bon entretenir à grands frais de tels pôles de compétences, si on ne s'en sert même pas comme d'un levier d'action essentiel pour l'emploi ? Il y a vraiment un manque de cohérence flagrant entre toutes ces actions disparates qui manquent d'efficacité car elles ne sont que très peu reliées entre elles.

    @ Nelly :

    ... réétudier ? Tu fais référence au diagnostic des JDem et de Maxime ? Il est vrai que je 'cartonne' un peu plus, là...
    Lire Les jeunes démocrates sur le front de l'emploi

    @ Philippe :
    Oui, j'ai vu que le diagnostic était partagé jusqu'en Alsace du Nord !
    :))))

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  5. "Réétudier", façon de parler.
    Je souhaitais surtout "m'imprégner" de ton analyse très bien faite.
    "L'analyse des JDem" n'a pas analysé le plan Urgence, elle a dressé des constats d'ordre plus général.

    Ton texte est important pcq il apporte des éléments concrets!

    @+

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  6. @ Nelly :

    Oups, mon lien n'était pas le bon, c'est sur le blog des Jeunes démocrates 67. Me semble bien que ce plan y est évoqué :
    http://jeunesdemocrates67.hautetfort.com/archive/2009/10/25/les-jeunes-democrates-sur-le-front-de-l-emploi.html

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