lundi 12 octobre 2009

Turquie : ouvrir la porte !

Vue du port de Constantinople,
Aivazovskii Ivan (1817-1900)
Paris, musée du Louvre

Alors que s'ouvre au Grand Palais l'exposition "De Byzance à Istanbul, un port pour deux continents", Michel Rocard, Jacques Delors, Luc Ferry, Edgar Morin et Alain Touraine publient cette tribune dans Le Monde de demain.

Turquie : ouvrir la porte !
Dépassons enfin les préjugés.

La Saison de la Turquie en France va-t-elle enfin donner l'occasion aux Français de découvrir, à travers des dizaines de manifestations culturelles, le vrai visage de la Turquie ? Ni celle des plages pour touristes, ni celle, fantasmatique, de l'avant-garde d'un islam lancé à la conquête de l'Europe ?

Va-t-on enfin rompre, dans la vision de ce grand pays, avec les clichés, les préjugés, le mépris, au mieux l'ignorance, qui polluent le débat sur l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne ? Nous l'espérons de toutes nos forces. Nous savons bien que la Turquie ne répond pas, pas encore, à tous les critères d'adhésion à l'UE. Nous savons bien que le rythme des réformes s'est ralenti en Turquie, bien que le gouvernement redonne des signes réformistes en phase avec les attentes de la société turque. Néanmoins, beaucoup reste à faire.

Mais est-ce en campant sur leur frilosité soupçonneuse que les Français aideront ceux qui, en Turquie, travaillent à faire avancer ce pays vers le progrès politique et économique, qui se confrontent auxpages noires de leur histoire nationale, qui luttent contre une tentation du repli sur soi. Tentation favorisée par ceux-là mêmes qui, en France, écartent d'un revers de main toute perspective de voir la Turquie rejoindre le grand ensemble européen en construction ? Au vrai, le défi lancé à la Turquie d'avoir à se transformer pour satisfaire aux critères de l'adhésion n'a d'égal que le défi que l'Europe occidentale s'est lancé à elle-même en acceptant la candidature d'un pays à la fois si proche et si éloigné.

Des deux côtés, ce pari stratégique et politique exige de la persévérance, beaucoup de tact, une bonne dose d'imagination et, plus encore peut-être, une solide vision du long terme. Si l'élargissement vers l'Est a consisté à intégrer l'autre Europe, l'élargissement vers la Turquie consistera à intégrer l'Autre de l'Europe.

Intégrer la Turquie à l'UE figure un enjeu qui dépasse le non-débat actuel sur la question. Le monde musulman, et avec lui le monde en développement, suit attentivement les étapes de cette rencontre. L'Europe est-elle capable d'émettre un message universel de solidarité ? Est-elle capable d'enregistrer les avancées de la société turque, signalées à juste titre par un récent rapport européen de la commission indépendante sur la Turquie ?

Chantier difficile mais fascinant

A-t-elle l'ambition de s'affirmer à l'échelle planétaire en accueillant en son sein un allié actif avec constance et discrétion dans la recherche de la paix ? Est-elle apte à dépasser la chimère de ses frontières identitaires, ne serait-ce que pour ne pas laisser le champ libre aux tenants de tous bords du choc des barbaries ? L'intégration de l'Europe et de la Turquie reste un chantier difficile mais fascinant. Tout prédestine la France à être au premier rang de ceux qui accompagnent la Turquie dans son odyssée européenne. Puissent les manifestations de la Saison de la Turquie en France permettre enfin aux Français de mieux comprendre ce pays en pleine transformation.

Nous appelons tous les citoyens, en France comme en Turquie, à nous rejoindre et à se mobiliser pour, de part et d'autre, libérer le débat des arguments passionnels qui font appel aux instincts les plus primitifs. Il est plus que temps de revenir à une réflexion sereine, sur un terrain rationnel.

Michel Rocard, Jacques Delors, Luc Ferry, anciens ministres ; Edgar Morin et Alain Touraine, sociologues.

Article paru dans l'édition du 13.10.09.

4 commentaires:

  1. Portus Theodosiacus, le grand port par où transitaient les biens d’Asie mineure, a été découvert au cœur d’Istanbul par le hasard d’un chantier urbain. L’exposition qui s’ouvre samedi au Grand Palais à Paris, sur l’histoire de cette cité aux noms de rêve (Byzance, puis Constantinople…) présente cette fouille archéologique déterminante.

    Tsunami. De la boue de tessons émergent des pilotis noirs. La forme squelettique d’un bateau aux airs de baleine surgit de la glaise. Dans le quartier de Yenikapi a été découpé, à une profondeur de 34 mètres, un quadrilatère de 58 000 mètres carrés, où il est prévu de loger une gare liée à un tunnel sous le Bosphore : en creusant à 500 mètres de la rive, les ingénieurs ont découvert le port antique de Constantinople, d’où ont déjà été exhumées 34 épaves, des Ve et VIe siècles. De premiers résultats doivent être livrés à un symposium cette semaine à Istanbul. Sur les causes de la catastrophe qui a dû frapper le port installé dans une baie disparue, les scientifiques se perdent en conjectures. Tsunami ? Depuis le IVe siècle, la ville a subi une douzaine de séismes, causant chacun 10 000 victimes.

    Engloutis sous la boue, les navires ont été remarquablement conservés.«Quand on retrouve un navire dont il reste 30%, on est heureux ; ici on a récupéré 70% de chaque bâtiment», fait observer Ufuk Kocabas. L’archéologue ramasse à nos pieds un bouchon d’amphore en terre cuite, qui va rejoindre les 10 000 objets déjà sortis. On a exhumé des amphores en nombre, des mosaïques, du marbre des îles, qui a donné son nom à la mer de Marmara, des statues, des centaines de milliers d’os animaux - chevaux et chameaux, singe ou éléphant. Chaque découverte apporte une précision sur la vie quotidienne romaine en Orient, le commerce des fruits, de l’huile ou du vin : cerises retrouvées dans des paniers ; squelettes de chevaux témoignant des sévices endurés par ces animaux de trait, dont les crânes sont affreusement mutilés par les mors…

    Hangar. Deux laboratoires sont installés sur place pour recenser et préserver ces témoignages. Telles pièces sont envoyées à Oxford. Chaque bateau retrouvé fait l’objet d’un relevé précis, avant transfert des éléments dans un hangar voisin, nettoyage dans des cuves, puis séchage et consolidation pendant des mois. Un musée pourrait leur être consacré. Plus de 5 000 prises de vue ont été opérées sur le site et plus de 150 000 photos des objets archivées. La fosse compte plusieurs strates d’un habitat très ancien. On y a retrouvé les restes d’un village datant de 6 000 ans avant notre ère, installé au bord de l’eau à une époque où la mer Noire et la mer Egée n’étaient pas reliées par le détroit. Idem pour une nécropole des XIIe et XIIIe siècles, mitoyenne d’une chapelle.

    Il faut rendre hommage aux autorités turques, pour avoir montré une volonté aussi exceptionnelle de protéger ce patrimoine. Le chantier est arrêté depuis cinq ans, bloquant le plus grand projet de la métropole. Et il le sera encore pour les dix-huit mois à venir au moins. «L’archéologie a besoin de temps», philosophe Ufuk Kocabas.

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  2. "...intégrer l'Autre de l'Europe" ?
    C'est bien reconnaître qu'il n'en est pas.
    Il s'agit donc de désintégrer l'Autre ?
    Ou de nous laisser désintégrer par l'Autre ?
    Pourquoi donc ne pas "intégrer" l'Amérique, l'Asie et l'Afrique ? Il faut être ouvert et abolir les limites.

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  3. Superbe texte d'auteurs, merci à Pierre de nous le faire connaître!

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  4. @ Christine :

    "L'Autre de l'Europe" me semble indiquer au contraire que l'Autre en est, aussi. Mais pourquoi l'intégration à une communauté de destin serait-elle synonyme de la désintégration de son identité propre ? C'est le modèle même de la construction européenne que vous remettez en cause, là.

    Quant à la géographie et ses limites, il y a bien longtemps que le Bosphore n'est plus un obstacle au développement urbain de Byzance, de Constantinople et d'Istanbul... Pourquoi voulez-vous en faire une limite européenne ? Comme le rappellent Michel Rocard, Jacques Delors, Luc Ferry, Edgar Morin et Alain Touraine, il s'agit bien de dépasser nos propres préjugés.

    @ Nelly :
    Superbe expo aussi, m'a-t-on dit !

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