vendredi 5 décembre 2008

France Télévisions : tentative de mainmise ou sabotage ?

L'Assemblée nationale l'a décidé hier soir : le patron de France Télévisions sera nommé en Conseil des ministres et il pourra être révoqué de la même façon... Autant dire que le Président de la République s'en occupera lui-même.

Retour au bon vieux temps de l'ORTF...


Ce sont 35 ans de progrès pour l'indépendance de la télévision publique qui volent en éclat. Petit rappel historique :
  • au début du mandat de Giscard en 1974, l'ORTF est éclatée en une multitude de sociétés autonomes maîtrisant chacune leur programmation : Radio France, Télévision Française 1 - TF1, Antenne 2 et France Régions 3. Trois sociétés techniques complètent le dispositif : la Société Française de Production - SFP, Télédiffusion de France pour le réseau hertzien - TDF et l'Institut national de l'Audiovisuel pour la recherche et les archives - INA

  • au début du mandat de François Mitterrand en 1982, une 1ère instance de régulation voit le jour : la Haute Autorité de l'audiovisuel. Elle a pour mission de garantir l'indépendance de l'audiovisuel public (elle nomme patrons des chaînes) et d'attribuer les nouvelles fréquences ouvertes aux radios privées et associatives. En 1986 puis en 1989, la Haute autorité change de nom pour devenir la CNCL puis le CSA. Voir quelques images d'archive sur le site de l'INA.
Face à la volonté de Nicolas Sarkozy de nommer lui-même les responsables de l'audiovisuel public, les critiques fusent de toutes parts, y compris au sein de la majorité. On murmure que le président de la commission qui a préparé la réforme, Jean-François Copé s'est éclipsé de l'hémicycle hier après-midi, pour ne pas prendre part au vote de cet épineux article...

Mais malgré l'amendement prévoyant l'avis conforme de l'Assemblée nationale à la majorité qualifiée, la nomination du président de France Télévision par le pouvoir exécutif reste très controversée.

Qui peut croire en effet que 3/5ème des députés puissent s'opposer ouvertement au Président de la République alors que dans notre système institutionnel, les députés de la majorité doivent leur élection au chef de l'État élu quelques semaines plus tôt ?

Un sursaut citoyen est-il encore possible pour contrecarrer ce projet extraordinairement régressif ? L'hebdomadaire Marianne semble le croire en lançant aujourd'hui un appel pour le pluralisme et l'indépendance des médias.


On peut signer la pétition en ligne en cliquant sur la Une ou ici.

Reste à savoir s'il n'y a pas d'intention plus funeste dans cette réforme ? Je le crains. Car l'arrêt de la publicité passe désormais au second plan des critiques mais pourtant... Un transfert aussi brutal du financement comporte des risques incalculables sur la programmation et sur l'audience.

Sans aucune publicité, la télévision publique sera-t-elle encore en mesure de rivaliser avec les chaînes privées pour la retransmission de grands événements ? Aura-t-elle encore les moyens d'acheter les droits de retransmission des matchs de foot, par exemple ?

De fil en aiguille, ne risque-t-elle pas de s'enfermer dans un ghetto culturel, avec des retransmissions d'opéras ou de théâtre en début de soirée, des retransmissions de tournois d'escrime ou d'équitation le week-end, etc. ?

Sans une volonté politique forte, l'absence de publicité risque de reléguer sur le service public tout ce que les chaînes privées ne voudront plus faire. On peut craindre aussi l'effet boomerang d'un excès de publicité sur les chaînes privées — la 2ème coupure des films est déjà programmée...

En supprimant totalement la publicité des chaînes publiques, ne risque-t-on pas d'accentuer le séparatisme social et culturel des publics ? Ou de reproduire dans l'audiovisuel, les mécanismes de relégation urbaine de nos banlieues difficiles ?

Si la réforme du financement est trop brutale, les conséquences imprévisibles seront grandes. Un peu de prudence et de mesure permettrait pourtant de faire évoluer le financement progressivement, à l'image de la réforme engagée par Catherine Trautmann en 1998 — les critiques de l'opposition de l'époque sont assez croustillantes...

Au delà des critiques et des recommandations de prudence, restons aussi à l'écoute des propositions constructives. Ainsi par exemple, le forum Télévision et société au XXIème siécle organisé par Ars Industrialis et par le Collectif Enfance et Média au Théâtre de la Colline demain samedi.

Bernard Stiegler
y avance par exemple l'idée assez iconoclaste, de limiter la durée des tunnels de publicité, y compris sur les chaînes privées ! Aux antipodes de la réforme bâclée qu'on nous propose, sortie du chapeau des apprentis sorciers et des saboteurs cyniques.

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