jeudi 21 octobre 2010

Chronique de Luc Ferry, le Figaro du 21 octobre 2010

« Claude Allègre, après la tem­pête déclenchée par son li­vre, L'Imposture climati­que, a décidé de renouer avec des actions positives en créant une fondation pour l'éco­logie. Il m'a demandé d'en faire par­tie. J'ai accepté et, depuis lors, je suis assailli par une cohorte d'indignés qui m'incitent ardemment à ne pas m'afficher avec un homme aussi po­litiquement incorrect. Corinne Lepage a publié sur son blog un édito ra­geur qui dénonce cette connivence coupable et accuse mon propre livre, Le Nouvel Ordre écologique, d'avoir fait « perdre vingt ans » aux progrès de l'écologie politique en France. Rien que ça ! C'est me faire beaucoup d'honneur.

« C'est surtout se tromper du tout au tout sur le sens de mes interventions. Loin de lui être hostiles, elles en appellent au contraire à la création d'une écologie scientifique et huma­niste enfin débarrassée des oripeaux du gauchisme. Comme Allègre n'a cessé de le dire, le terme « d'imposture » ne visait dans son esprit ni les écologistes authentiques ni a fortiori les scientifiques. Il portait sur deux points - et dans les deux cas, je suis convaincu qu'il a raison. C'est donc sans le moindre état d'âme que je persiste et signe. Voici pourquoi.

« En premier lieu, il me semble en effet aberrant de prétendre prédire le climat général de la planète dans un siècle, attendu que nous n'avons pas la moindre idée de l'état de l'huma­nité dans trente ans. Y aura-t-il eu des guerres, des progrès démocrati­ques ou technologiques insoupçon­nés, de nouvelles sources d'énergie découvertes ou mises au point ? Nul n'en sait rien. On objectera que c'est justement pour ça qu'il faut appliquer le principe de précaution. Erreur fu­neste. Il faut au contraire innover, inventer, prendre des risques intel­lectuels et politiques comme jamais.

« Pourquoi ? Mais parce que, de toute façon, nous n'avons, nous les Européens, aucun moyen ni aucun droit d'empêcher l'Inde et la Chine d'entrer, comme nous l'avons fait nous-mêmes sans vergogne, dans l'ère de la consommation de masse. Ce n'est pas en saccageant la recher­che sur les OGM ni en limitant notre développement qu'on sauvera la pla­nète, car nous ne stopperons pas le leur, mais en inventant des moyens de les aider à le conduire sans dévas­ter le monde. On objectera que c'est un pari risqué. Sans doute. J'affirme seulement que de là où nous sommes, c'est-à-dire en Europe, il n'en est rigoureusement aucun- autre. Il est ab­surde d'imaginer que, de Paris ou de Bruxelles, nous allons freiner la crois­sance des nouveaux entrants. Or c'est pourtant là l'essentiel du problème. Si une chose est juste dans le Grenelle cher à Jean-Louis Borloo, c'est bien celle-ci : c'est en intégrant l'écologie à l'économie, en investissant dans la recherche et l'innovation qu'on protégera l'Univers, pas en nous infligeant des taxes ni en cultivant le my­the de la décroissance.

« Dans ces conditions, et telle est la seconde imposture pointée par Allè­gre, c'est une faute de persuader nos dirigeants que la priorité des priorités réside dans le changement climati­que. Un enfant meurt de malnutrition toutes les six secondes. Cela se passe aujourd'hui, ici et maintenant, sans que nos politiques s'en émeuvent. Mais pour en rester à la seule écologie, la question démographique et celle de l'eau sont à l'évidence autrement plus urgentes que celle du climat. Pour­quoi laissent-elles de marbre nos diri­geants, alors que les travaux du Giec réunissent une centaine de chefs d'État à Copenhague autour de l'ave­nir du protocole de Kyoto ? Face à cette logique médiatico-politique exorbitante, tous les autres sujets semblent avoir disparu comme par magie. Est-ce raisonnable ? C'est ici toute la question de la hiérarchisation des priorités en matière d'écologie qu'il faut reprendre à la racine.

« Devant ces distorsions de la réalité, la question décisive est la suivan­te : jusqu'à quand allons-nous conti­nuer à accepter que l'écologie soit guidée au seul radar de l'émotion mé­diatique ? Qu'il y ait eu, de part et d'autre, des maladresses et des excès est bien possible, et sans doute regret­table. Du reste, Claude Allègre n'en fait pas mystère : son combat pour rouvrir une discussion qui était ver­rouillée est maintenant derrière lui. Depuis plus de vingt ans, nous plai­dons l'un comme l'autre pour une ré­conciliation de l'écologie, de la démo­cratie et de la science. Là est l'essentiel, et sur ce terrain, je vois mal à quel titre les écologistes et les scientifiques authentiques pourraient ne pas nous rejoindre. »

Luc FERRY, Le Figaro du jeudi 21 octobre

2 commentaires:

  1. Dans un article paru le 21 octobre dans Le Figaro, Luc Ferry me qualifie de « belle âme » pour avoir fustigé la fondation Allègre et soutenu que le livre de Luc Ferry le nouvel Ordre écologique nous avait fait perdre 20 ans.

    Je persiste, je signe et je confirme.

    Oui. Un esprit aussi affûté et brillant que celui de Luc Ferry, dont un classement récent en fait un des intellectuels qui a le plus de poids sur l’opinion publique, ait été depuis 25 ans un adversaire résolu de la pensée écologique qu’il affecte de ne pas comprendre, a contribué au retard colossal de la France dont la communication du Grenelle n’a dans la réalité pas changé grand-chose. Le fait que les ¾ des Français considèrent que le Grenelle est un échec atteste à la fois qu’ils ne sont pas dupes et que les mesures annoncées participent davantage de la communication que de la réalité. La cause en vient de la répulsion de la majeure partie de la droite pour les questions écologiques, qui remettent en cause leur doxa, que la pensée de Luc Ferry vient consolider. A coups de citations tronquées et d'interprétations biaisées, le livre de Luc Ferry, paru en 1992, ne fait rien de moins qu'assimiler l'écologie à un délire romantique anti-libéral et anti-humaniste dissimulant pétainisme, fascisme et stalinisme.

    Oui, la fondation Allègre est financée par certains lobbys qui se battent pour pouvoir continuer de polluer en rond, utiliser les ressources communes sans en assumer aucune charge et mettre sur le marché des produits et technologies qui peuvent être toxiques à terme sans faire les études préalables et surtout sans en assumer la responsabilité éventuelle. Oui, certains d’entre eux participent de la sphère des climato-sceptiques dont Claude Allègre est devenu le porte-étendard gonflé à l’hélium médiatique en France. Ce sont précisément ceux dont le Réseau Action Climat affirme, preuve à l’appui, qu’ils ont financé les sénateurs américains niant le changement climatique et militent en Europe pour que rien ne soit fait. La courroie de transmission est probable… Alors, comme Luc Ferry, je souhaite et travaille depuis plusieurs décennies à des rapports sains entre science, économie et écologie, mais visiblement nous ne partageons pas le même objectif. La science dont nous avons besoin, c’est évidemment d’abord celle de la recherche fondamentale qui assure le progrès des connaissances. C’est aussi une science qui accepte de remettre en question, par de la recherche sur les effets qu’ils soient sanitaires, environnementaux ou socio-économiques, les technologies qu’elle permet de produire. Mais c’est surtout une science qui appelle la confiance dans ses affirmations parce qu’elle n’a pas défini a priori ce qu’elle prétend prouver afin de satisfaire ses sponsors. Le cumul du scientisme qui considère que la science apportera toutes les solutions et que le progrès technologique est bon en lui-même, et du lobbysme via les fondations et les think thank n’a plus guère à voir avec la rigueur scientifique.

    (...)

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  2. (...)

    Oui, plus que jamais, à l’heure où la confusion la plus grande règne dans les organes d’expertise scientifique en raison de conflits d’intérêt si patents qu’ils ne peuvent plus être dissimulés, à l’heure où le doute a envahi la société qui n’a plus aucune confiance dans ses scientifiques comme dans ses politiques ou dans ses journalistes, ce nouveau lobby climato-sceptique, scientiste et décidé à s’attaquer à l’écologie pour mieux défendre les thèses de ses grands donateurs, bienfaiteurs de l’Humanité, va avoir pour seul effet de décrédibiliser un peu plus le monde scientifique dans son ensemble, de conforter le retard français dans toutes les nouvelles filières de l’économie verte et d’accroître en définitive le pessimisme ambiant.

    Oui, les esprits intelligents qui se sont laissé abuser par l’initiative Allègre seront les « idiots utiles » d’une entreprise qui tourne le dos aux principes qu’elle prétend incarner. Lorsque l’Histoire, nos enfants, voire nous-mêmes jugeront de ceux qui auront contribué à retarder, même à empêcher que les mesures nécessaires soient prises pour éviter la catastrophe climatique, il sera trop tard pour fuir leur responsabilité et regretter d’avoir oublié les leçons du pari pascalien. Mais hélas, il sera trop tard aussi pour leurs victimes.

    Voir l'article du 30 juin 2010 sur le site actu-environnement.com
    .

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